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Dossier extrait du bulletin d’information “Trait d’Union” n°106 d’octobre 2025
Les installations nucléaires rejettent régulièrement dans l’environnement des substances radioactives et chimiques. Dans ce dossier, la CRIIRAD fait le point sur les effluents liquides et gazeux produits par les centrales françaises, leur suivi par les exploitants et les autorités, ainsi que sur la répétition d’incidents déclarés. La dernière partie s’intéresse à la contamination en tritium des nappes situées sous les centrales, soulignant les incertitudes et limites actuelles liées à sa surveillance.
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Sommaire
2/ EPR : surveillance des rejets et prévention des pollutions exemplaires ?
3/ Quelle maîtrise des rejets dans l’environnement ?
4/ Rejets non maîtrisés de tritium : toutes les centrales concernées
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1/ Les effluents du nucléaire
L’exploitation des centrales nucléaires génère des effluents radioactifs et chimiques qu’EDF est autorisée à rejeter dans l’environnement, par voie liquide et gazeuse.
Mais d’où proviennent-ils ?
Pour répondre à cette question, il faut revenir un bref instant sur le fonctionnement des réacteurs du parc nucléaire français et les différents circuits qui les composent.
Le combustible nucléaire, lors des réactions de fission, produit de la chaleur transmise à de l’eau maintenue sous pression dans un circuit, dit circuit primaire. Cette eau est dirigée vers les générateurs de vapeur (qui sont 3 ou 4 par réacteur selon leur puissance) dans lesquels elle circule par un faisceau de tubes et transfère sa chaleur à l’eau d’un second circuit. L’eau de ce circuit secondaire, s’échauffe au contact des tubes et se vaporise. La vapeur est envoyée vers une turbine qui entraîne un alternateur, ce qui produit de l’électricité. La vapeur est ensuite condensée au contact de l’eau froide d’un troisième circuit et est renvoyée dans les générateurs de vapeur. L’eau de ce troisième circuit, dit circuit tertiaire, est prélevée dans l’environnement (mer, estuaire ou cours d’eau). Elle est soit directement restituée au milieu, soit réutilisée après refroidissement dans des tours aéroréfrigérantes.

Les effluents liquides du circuit primaire
L’eau du circuit primaire circule dans la cuve du réacteur au contact des barres de combustible où elle se charge en produits radioactifs. Ces produits proviennent, d’une part, de migrations au travers des gaines des combustibles qui ne sont pas totalement étanches et d’autre part du bombardement par les neutrons des matériaux présents dans la cuve. C’est le cas du tritium qui est essentiellement produit par l’action des neutrons sur le bore et le lithium présent dans l’eau. Le circuit primaire contient également des substances chimiques permettant de contrôler la réaction de fission (acide borique) et de maintenir le pH à un niveau limitant les effets de la corrosion (lithine).
Plusieurs opérations de pilotage et de contrôle du réacteur nécessitent de remplacer ou d’évacuer une partie de cette eau du circuit primaire, générant ainsi un effluent liquide très radioactif. À cela, s’ajoutent des fuites liées à l’inétanchéité du circuit, notamment au niveau des robinetteries. Ces fuites sont tolérées dans les limites fixées par les règles générales d’exploitation.
Le traitement des effluents primaires permet de retenir un certain nombre de substances radioactives avant rejet, mais leur contamination résiduelle est loin d’être négligeable. En 2024, par exemple, l’activité moyenne en tritium des effluents primaires rejetés par la centrale du Tricastin était d’environ 600 000 Bq/l ! Avant d’atteindre le cours d’eau, ils sont toutefois mélangés aux rejets de la station de déminéralisation et aux eaux des circuits de refroidissement.
Les effluents liquides du circuit secondaire
Dans le générateur de vapeur, les milliers de tubes par lesquels transite l’eau radioactive du circuit primaire subissent d’importantes contraintes : température, pression, vibrations, corrosion… responsables de l’apparition d’inétanchéités. Certains produits radioactifs comme le tritium migrent ainsi du circuit primaire vers le circuit secondaire. Les taux de fuites d’un circuit à l’autre sont tolérés jusqu’à une certaine limite.
L’eau du circuit secondaire contient également tout un cocktail de substances chimiques destinées à contrôler le pH, la formation de boues dans le générateur de vapeur, les dépôts sur la surface d’échange thermique. Lors des opérations de maintenance nécessitant des vidanges de circuit, cette eau est entreposée dans des réservoirs puis rejetée après contrôle.
Les effluents liquides du circuit tertiaire
C’est ce circuit tertiaire qui est responsable des rejets thermiques au milieu environnant, soit directement, soit après refroidissement dans une tour aéroréfrigérante. Mais ce circuit génère des effluents chimiques. En effet, dans les centrales de bord de mer et celles en circuits fermés, des traitements saisonniers sont mis en place pour lutter contre les “salissures” biologiques et les micro-organismes présents dans l’eau. Pour les sites en bord de mer, les traitements se font à l’eau de Javel. Pour les réacteurs en circuit fermé, deux traitements sont réalisés pour limiter la formation de tartre et la prolifération des amibes et des légionelles.
Les effluents liquides des autres installations
D’autres installations, comme l’installation de production d’eau déminéralisée, la station d’épuration pour le traitement des eaux usées… génèrent également des effluents chimiques que l’exploitant doit comptabiliser.

Les effluents gazeux radioactifs
En fonctionnement, il existe trois sources de rejets d’effluents radioactifs gazeux :
- Les gaz libérés lors du dégazage du circuit primaire. Ils sont collectés et stockés dans des réservoirs, au minimum 30 jours. Durant ce temps, la radioactivité des radionucléides à courte période décroît sensiblement. Pendant les rejets, des filtres à très haute efficacité retiennent une partie des substances radioactives, mais pas la totalité. Certains éléments sont difficiles à piéger avant rejet, en particulier le tritium et le carbone 14 ainsi que des gaz rares comme le krypton et le xénon.
- Les gaz provenant de la ventilation continue de certains locaux (bâtiment réacteur et îlot nucléaire notamment) et des circuits de traitement des effluents liquides radioactifs. Certains locaux sont ventilés en permanence pour maintenir la salubrité et créer une légère dépression par rapport à l’extérieur. L’air de la ventilation est rejeté en permanence à la cheminée après avoir transité par des filtres et, dans certains circuits, par des pièges à charbon actif.
- Les gaz générés lors des opérations de dépressurisation de l’air du bâtiment réacteur. Ces opérations ont lieu régulièrement et conduisent à des rejets ponctuels dits “concertés”.
Ces rejets à l’atmosphère s’effectuent par une cheminée dédiée, à la sortie de laquelle doit être réalisé, en permanence, un contrôle de l’activité rejetée.
Les effluents gazeux chimiques
Les principales sources d’émission de composés chimiques gazeux proviennent des groupes électrogènes de secours et des turbines à combustion qui fonctionnent au gasoil, de pertes de fluides frigorigènes, du renouvellement de calorifuges dans le bâtiment réacteur et d’émanations de certaines substances volatiles utilisées pour la protection et le traitement des circuits.
Que dit la réglementation ?
La législation française reconnaît et autorise les rejets radioactifs et chimiques dans l’environnement. Chaque installation dispose de ses propres autorisations, délivrées par un arrêté interministériel. Il impose les quantités limites et les conditions de rejets dans l’environnement, mais aussi le contrôle et la surveillance de leurs impacts sur l’environnement.
C’est l’exploitant lui-même qui réalise les contrôles. Dans ce but, chaque site dispose de ses propres laboratoires qui réalisent les prélèvements et les mesures pour s’assurer que les rejets sont bien réalisés conformément à la réglementation.
Quels sont les éléments radioactifs les plus rejetés ?
C’est le tritium (1) qui est rejeté en plus grande quantité : pour chaque réacteur, les rejets gazeux se chiffrent en centaines de milliards de becquerels et en dizaines de milliers de milliards de becquerels pour les rejets liquides. Même si ces rejets sont conformes et que les conditions dans lesquelles ils sont effectués favorisent leur dilution, on ne peut occulter les questions relatives aux effets à moyen et long terme de ces produits radioactifs sur les êtres vivants exposés.
Bilan 2024 des rejets du parc en fonctionnement
L’ensemble des rejets liquides de tritium a représenté pas loin d’un million de milliards de becquerels : 918 765 GBq (gigabecquerels (2)) d’après les rejets déclarés par EDF.
Au niveau des rejets gazeux, la quantité de gaz rares rejetée a été de 17 894 GBq soit un peu plus que le tritium avec 17 751 GBq. Les rejets de carbone 14 se sont quant à eux élevés à 7 325 GBq.
Notes :
1 Voir dossier CRIIRAD : Tritium dans l’eau potable
2 1 gigabecquerel correspond à 1 milliard de Becquerel c’est-à-dire à 1 milliard de désintégrations par seconde
EPR, des rejets de tritium plus faibles : vraiment ?
Pour EDF, l’EPR de Flamanville est censé rejeter moins de tritium par quantité d’électricité produite que les autres réacteurs électronucléaires.
Cette affirmation figure dans la version publique du rapport de sûreté de Flamanville 3 (1), où l’on trouve bien une estimation des rejets de tritium de l’EPR, mais qui n’est pas étayée par une comparaison avec les rejets réels du parc actuel.
La CRIIRAD a procédé à cette comparaison, à partir des données consultables sur différentes sources.
Dans le rapport de sûreté de l’EPR, les rejets sont estimés à 52 000 GBq/an par voie liquide et 500 GBq/an par voie gazeuse.
Pour cette estimation, EDF suppose que l’EPR fonctionnerait à 91% (2). La puissance annoncée de l’EPR étant de 1,65 gigawatts électriques (GWe), sur une année, le réacteur produirait 1,65 GWe x 24 h x 365 j x 91% = 13 153 GWh (gigawattheures).
L’EPR de Flamanville rejetterait ainsi, par voie liquide, 52 000 / 13 153 = 3,95 Bq par Wh produit. Par voie gazeuse, les rejets s’élèveraient à 0,04 Bq/Wh.
Les rejets globaux de tritium (liquides et gazeux) seraient donc de 3,99 Bq/Wh pour l’EPR de Flamanville.
Pour les réacteurs en fonctionnement, nous avons utilisé, pour la période 2017/2021 :
• Le tableau détaillé des rejets annuels de chaque centrale figurant dans le “Livre blanc tritium” publié par l’ASN (3). De 2017 à 2021, les rejets de tritium se sont élevés à 4 668 740 GBq par voie liquide, et 112 855 GBq par voie gazeuse ;
• Les données de production des centrales nucléaires, consultables sur la base Power Reactor Information System (PRIS) de l’AIEA (4). Sur ces cinq années l’ensemble du parc a produit 1 861 960 GWh.
Le parc a donc rejeté, entre 2017 et 2021, 2,51 Bq/Wh par voie liquide et 0,06 Bq/Wh par voie gazeuse, soit au total 2,57 Bq/Wh.
L’affirmation d’EDF est donc contredite par ses propres données : pour chaque Wh produit, les rejets de tritium de l’EPR seraient ainsi dans leur ensemble 36% plus élevés que ceux du parc actuel. Seuls les rejets gazeux seraient plus faibles, mais ceux-ci représentent moins de 3% du total.
Notes :
1 EDF, Rapport de sûreté de Flamanville 3 – Version publique – Edition DEMANDE DE MISE EN SERVICE, https://urlr.me/pxyRm6 : « Une recherche d’amélioration de la performance environnementale de l’installation EPR par rapport aux tranches du Parc en exploitation […] [a conduit à] une maîtrise accrue de la production de Tritium […] afin d’atteindre une production spécifique (rapportée au kWh produit) de tritium quasiment égale ou inférieure à celle des unités de production existantes ».
2 « Cette estimation a été obtenue […] pour un coefficient de production de 91% ».
3 https://www.asn.fr/sites/tritium/
4 https://urlr.me/h8UQS2
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2/ EPR : surveillance des rejets et prévention des pollutions exemplaires ?
Le réacteur EPR de Flamanville est le plus récent du parc nucléaire français existant. Plus puissant, plus moderne… et plus écologique ? L’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) a examiné fin 2024 la surveillance des rejets dans l’environnement (1) et, quelques mois plus tard (2), la gestion des produits toxiques et des gaz fluorés utilisés sur ce site “dernier cri”.
Une surveillance des équipements inefficace
Les eaux souterraines de Flamanville sont surveillées, notamment du fait de déchets enfouis dans le sol qui peuvent les polluer. Cet enjeu est bien connu et des prélèvements sont faits mensuellement. Pourtant les inspecteurs de l’ASNR ont découvert que les piézomètres qui permettent cette surveillance étaient très détériorés, au point qu’il y a une communication directe entre la surface et la nappe phréatique engendrant un risque de pollution supplémentaire. Une demande de travaux a bien été faite, 11 mois plus tôt, mais sans être soldée. D’après les inspecteurs, la vétusté est telle qu’elle est antérieure à 2024, ce qui questionne la capacité d’EDF à contrôler les équipements de surveillance de l’environnement.
Un autre équipement, servant à dépolluer les eaux des huiles et hydrocarbures avant rejet dans l’environnement, dysfonctionne manifestement depuis sa mise en service : les analyses ont clairement montré que les taux d’hydrocarbures restant dans l’eau après être passée par le déshuileur sont inférieurs aux limites réglementaires, mais au-dessus du seuil qui garantit un bon fonctionnement. Là encore, malgré des preuves évidentes et l’importance de sa fonction, EDF ne s’est pas soucié de remettre rapidement en état l’équipement.
Des données non déclarées et des mesures faussées
Les inspecteurs ont également découvert qu’entre juin 2020 et mars 2024, les mesures trimestrielles d’hydrocarbures réalisées à la sortie du déshuileur n’ont pas été inscrites dans les registres de rejets ni envoyées à l’ASNR, ce qui est pourtant une obligation réglementaire (3). Quatre années de défaut d’enregistrement et de déclaration d’informations aux autorités sans que ce ne soit détecté…
Outre les équipements et la traçabilité, les inspecteurs ont découvert des problèmes encore plus profonds : les prélèvements réalisés sur le site ne sont pas représentatifs de ce que rejette réellement l’EPR dans l’environnement. Et ceci pour plusieurs valeurs réglementaires, dont les hydrocarbures, le tritium et l’activité béta global dans le réseau d’eaux pluviales. En cause, une installation non adaptée à la surveillance des pollutions et rejets en cas notamment de fortes précipitations, des protocoles inadaptés et des intervenants qui ne sont pas formés. C’est pourtant EDF qui, par dossier transmis à l’ASNR en janvier 2024, a garanti la représentativité des points de prélèvements d’eau et de rejets d’effluents de l’EPR.

Des rejets évitables et des risques inutiles
D’après l’ASNR, d’importants rejets d’hexafluorure de soufre (SF6), un gaz à effet de serre au pouvoir de réchauffement global très important, sont survenus ces dernières années à la suite d’opérations de maintenance. Des fuites étaient toujours en cours au moment de l’inspection, EDF n’ayant pas identifié leur localisation. Les inspecteurs ont pointé l’organisation en place, qui consiste à attendre l’atteinte du seuil de pré-alerte pour rechercher les fuites et faire des appoints de SF6. Un suivi plus fin de l’évolution de pression (par capteurs de densité de gaz) permettrait d’anticiper, de lancer les recherches plus tôt et de limiter les quantités rejetées à l’atmosphère – donc de limiter la contribution du site au phénomène d’effet de serre.
Ce défaut de prévention se retrouve aussi dans la gestion des liquides de refroidissement (4). Des pièces ont été changées par d’autres plus résistantes après une importante fuite survenue sur un groupe froid. Les autres groupes, similaires en tout point, n’ont pas bénéficié de ces modifications. Les inspecteurs ont souligné qu’EDF avait la possibilité de réduire ses rejets par des mesures préventives, en évitant des fuites à venir sans attendre leur survenue. Et qu’il faut pour cela changer d’organisation, sensibiliser les équipes et mettre en place un plan d’action.
Concernant les substances dangereuses, les inspecteurs ont dressé une liste de constats démontrant des prises de risques inutiles et inconsidérées. Zone de dépotage du camion-citerne d’eau de javel particulièrement exiguë, accès au réservoir non sécurisé, camion d’acide sulfurique transitant par le site EPR alors que cette substance n’est pas censée y être dépotée, stocks d’acide surdimensionnés par rapport aux besoins du site – alors que cette substance pourrait être remplacée par de l’air comprimé (évitant ainsi les risques de fuite et de déversement) – nettoyage de canalisations où circule de l’eau de javel avec de l’acide chlorhydrique, deux substances incompatibles dont le mélange peut former un nuage toxique…
Matériels dégradés, données non déclarées, mesures non représentatives, fuites qui pourraient être évitées, défauts d’analyses de risques : l’EPR de Flamanville est le plus récent des réacteurs nucléaires d’EDF en service, mais il n’est pas à la hauteur des enjeux de protection de l’environnement. Non seulement la conception de l’installation et des équipements ne le permet pas, mais l’organisation élaborée et mise en œuvre par EDF ne répond pas aux exigences fixées par la réglementation en termes de surveillance, de prévention et de réduction des impacts sur l’environnement. Un manque de moyens matériels, organisationnels et humains révélateur du manque de considération accordé à cette thématique et qui a un coût, écologique.
Notes :
1 Inspection INSSN-CAE-2024-0161 du 19/11/2024
2 Inspection INSSN-CAE-2025-0249 du 17/06/2025
3 Article 5.2.5 de la décision 2013-DC-0360 relative à la maîtrise des nuisances et de l’impact sur la santé et l’environnement
4 Composés d’hydrogène, de fluor et de carbone (HFC), ils deviennent une fois dans l’atmosphère des gaz à effet de serre à fort pouvoir de réchauffement global.
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3/ Quelle maîtrise des rejets dans l’environnement ?
Analyse de deux ans d’incidents
Toutes les centrales nucléaires rejettent des substances chimiques et radioactives dans l’air et dans l’eau. Elles y sont autorisées, mais dans certaines limites et à certaines conditions. La maîtrise de ces rejets est un argument régulièrement mis en avant par EDF pour démontrer que ses installations sont bien contrôlées. Mais est-ce vraiment le cas ? Nous avons analysé deux années de déclarations d’évènements significatifs pour l’environnement. Et le résultat est édifiant.
Périmètre de l’étude
Nous avons collecté toutes les déclarations d’évènements significatifs pour l’environnement (ESE) (1) publiées entre le 1er juillet 2023 et le 1er juillet 2025 relatives à un problème de rejets d’une centrale nucléaire (Fessenheim comprise), liquides ou gazeux, chimiques ou radioactifs, qu’il y ait eu ou non atteinte de l’environnement (2). Fuites, déversements accidentels, limites dépassées, produit non autorisé, erreur de procédure, dysfonctionnements d’équipements… Nous n’avons pas inclus les ESE relatifs aux agents pathogènes (amibes et légionelles), aux déchets solides ou aux transports.
Quelques précautions d’interprétation à garder en tête :
- L’accessibilité des données : nous avons été aussi exhaustifs que possible dans notre recueil. Cependant, certaines centrales nucléaires ne publient pas systématiquement les ESE (comme Penly ou Saint-Alban). Il est donc possible que durant la période étudiée il soit survenu plus d’ESE que ceux que nous avons collectés.
- Un ESE peut en cacher plusieurs : une seule déclaration peut relater plusieurs dépassements, un incident peut durer plusieurs jours, mois ou même années.
- Les communiqués d’EDF ne permettent pas toujours de savoir s’il y a eu dépassement de limites ou quelles sont les substances concernées.
- Le nombre de réacteurs : plus une centrale a de réacteurs, plus elle est susceptible de déclarer des ESE. Pour les comparer entre elles, le nombre d’ESE doit être mis en regard avec le nombre de réacteurs (8 ESE pour Gravelines qui compte 6 réacteurs, à comparer avec 9 ESE pour Flamanville – hors EPR – et 8 pour Golfech qui n’ont chacune que 2 réacteurs).
Principaux résultats
C’est avant tout une vision globale que nous voulions reconstruire. Distillées au jour le jour, site par site, les informations sont morcelées. Or les rejets font partie du fonctionnement de chaque centrale nucléaire, ils sont à prendre en compte dans leur ensemble. Nous avons opté pour une cartographie (3) qui laissera tout un chacun libre d’explorer ce que donnent les résultats détaillés.
Mais avant, regardons-les dans leur globalité.

LE NOMBRE D’ÉVÈNEMENTS
80 en 2 ans, soit 3,3 par mois, c’est-à-dire un ESE presque chaque semaine. Quasi tous les sites sont concernés (4), y compris Fessenheim (après son arrêt définitif) et l’EPR Flamanville (en phase de mise en service depuis fin 2024). Près de 60% de ces incidents ont concerné des rejets liquides.
LES DÉPASSEMENTS DE LIMITES
70 % des ESE, près des trois quarts, font état de seuils de déclarations, d’alarme ou de limite autorisée dépassés.
LES PRODUITS CHIMIQUES
Plus de 80% des ESE, c’est à dire 4 sur 5, portent sur des substances chimiques utilisées dans diverses parties des réacteurs (eaux usées sanitaires, production et conditionnement d’eau déminéralisée, effluents du circuit secondaire, systèmes de refroidissement…). La liste est longue (5) mais deux types de substances sont particulièrement sujettes aux rejets non maîtrisés :
• les hydrocarbures dans l’eau : 20% des déclarations soit 1 sur 5 (16 ESE, dont 7 rien que pour les 3 réacteurs de Flamanville) ;
• les fluides frigorigènes dans l’air : un tiers des ESE (26, soit 32.5%), sont relatifs à des fuites de ces gaz liquéfiés et concernent 12 centrales différentes (6) sur 19). Composés d’hydrogène, de fluor et de carbone, ils ont un fort pouvoir de réchauffement global (7).
LES SUBSTANCES RADIOACTIVES
20% des ESE (16), soit 1 sur 5, sont relatifs à des rejets radioactifs non maîtrisés (8), tant liquides que gazeux (8 de chaque). Outre le tritium et l’activité bêta, les communiqués ne donnent aucun détail. Dampierre (4 ESE radioactifs sur 6, c’est à dire les 2/3) et Gravelines (4 ESE sur 8, c’est à dire 1 sur 2) se démarquent particulièrement.

Télécharger les fichiers sources de la carte (PDF) ↓
► Communiqués EDF de déclarations d’ESE entre le 01/07/2023 et le 01/07/2025
► Base de données codifiées
Comme on le voit en étudiant 24 mois de déclarations d’incidents, les problèmes de rejets sont fréquents, systémiques et impliquent très souvent des dépassements de limites. Après plusieurs décennies d’exploitation, EDF est encore loin de maîtriser cet aspect incontournable et inhérent au fonctionnement de ses centrales.
Notes :
1 Selon l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection, les événements significatifs sont des incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement.
2 Il existe des systèmes pour confiner les pollutions liquides et éviter qu’elles n’atteignent le milieu naturel (obturateur gonflable, barrage filtrant, etc.). S’ils sont déclenchés à temps, qu’ils sont en état de marche et en nombre suffisant, ils permettent de récupérer tout ou partie des substances déversées accidentellement.
3 Nous mettons à disposition sur notre site la base de données que nous avons constituée ainsi que les sources, c’est-à-dire les communiqués publiés par EDF
4 Cattenom et Penly n’ont pas publié de déclaration sur la période étudiée.
5 Acides, soude, phosphore, sodium, azote, sulfates, chlorures, fer, matières en suspension, ammoniaque, hydrate d’hydrazine, éthanolamine, morpholine, huiles, gasoil, hydrocarbures, fluides frigorigènes…
6 Dampierre, Flamanville (EPR inclus), Paluel, Saint Laurent, Golfech, Blayais, Bugey, Chinon, Chooz, Gravelines, Cruas, Tricastin.
7 Les fluides frigorigènes, ED 6395, 2020, INRS.
8 Deux communiqués d’EDF relatent à la fois des rejets de substances chimiques et de substances radioactives. Nous avons attribué les 2 catégories à ces 2 ESE (d’où un total ESE radiologique + ESE chimique supérieur au nombre total d’ESE).
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4/ Rejets non maîtrisés de tritium : toutes les centrales concernées
En 2021, une fuite de tritium à la centrale nucléaire du Tricastin avait défrayé la chronique : une teneur record de 28 900 Bq/l (contre un “bruit de fond” de 1 à 2 Bq/l) était détectée par EDF dans les eaux souterraines. En cause, toute une série de problèmes : débordement d’un réservoir d’effluents, puisard et caniveaux non étanches… L’examen des données disponibles pour toute la France montre que ce cas n’est pas isolé : toutes les centrales électronucléaires sont ou ont été concernées par de tels rejets, pourtant interdits.
Selon la réglementation, “les rejets dans le sol et les eaux souterraines sont interdits” (1). Les rejets liquides ne sont donc pas censés transiter par le sous-sol du terrain sur lequel les centrales sont construites, et dans lequel se trouvent généralement une ou plusieurs nappes d’eau souterraine. Ils ne peuvent pas non plus se répandre sur le sol du site, ou être rejetés dans les milieux récepteurs (cours d’eau, milieu marin, atmosphère) par un exutoire non prévu pour cela.
Dans les eaux souterraines, l’exploitant doit analyser périodiquement plusieurs paramètres radiologiques et chimiques. Les échantillons sont prélevés dans des piézomètres (puits de quelques centimètres de diamètre) implantés sur le site et dans ses environs.
Depuis 2009, les résultats de ces contrôles réglementaires sont publiés sur le site du Réseau National de Mesures de la radioactivité de l’environnement (RNM) (2).
Le tritium est l’un des paramètres mesurés. Cet isotope de l’hydrogène, dont la période radioactive est de 12,3 ans, est le principal radionucléide rejeté dans l’environnement par les centrales nucléaires. La CRIIRAD a téléchargé et étudié l’ensemble des résultats de mesure de tritium dans les eaux souterraines des centrales nucléaires ayant été en fonctionnement pendant tout ou partie de la période 2009-2024 (18 centrales en activité à ce jour, ainsi que Fessenheim, arrêtée en 2020) et disponibles sur le site du RNM. Le jeu de données comprend les résultats des contrôles réglementaires, ainsi que ceux de contrôles complémentaires qu’EDF a bien voulu publier (ces résultats ne sont pas forcément exhaustifs puisque les contrôles complémentaires ne sont pas soumis à une obligation de publication).
Nous avons représenté les résultats de chaque site sous forme de graphes, consultables dans notre dossier Tritium dans l’eau potable.
Pour compléter cette vue d’ensemble, nous nous sommes appuyés sur un rapport de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) listant succinctement des événements de rejets non maîtrisés survenus avant 2009 (3).
Il ressort de cet examen que toutes les centrales, sans exception, ont connu des incidents de rejet dans les eaux souterraines, les cours d’eau et/ou le sol.
De nombreux incidents ne sont pas considérés comme tels par EDF. En effet, ne sont déclarés que les résultats dépassant 100 Bq/l (Evénements Intéressants pour l’Environnement entre 100 et 1 000 Bq/l, Evénements Significatifs pour l’Environnement au-delà de 1 000 Bq/l). Pourtant, puisque le bruit de fond habituellement observé dans les nappes souterraines est de l’ordre de 1 à 2 Bq/l, même en dessous de 100 Bq/l une pollution peut être caractérisée (4).
EDF a d’ailleurs été condamnée pour des incidents ayant entraîné une contamination des eaux souterraines en tritium inférieure à 100 Bq/l (60 Bq/l à Penly en 2013 et 7,4 Bq/l à Golfech en 2010) (5).
La carte ci-dessous synthétise la situation de chaque centrale au cours des dix dernières années (2015-2024).
Pendant cette période, la valeur maximale a été inférieure à 10 Bq/l pour trois sites, comprise entre 10 et 100 Bq/l pour sept sites, comprise entre 100 et 1 000 Bq/l pour six sites et supérieure à 1 000 Bq/l pour trois sites.

En dessous de 10 Bq/l : Golfech, Nogent-sur-Seine, Paluel
Ces trois centrales n’ont jamais dépassé 10 Bq/l entre 2015 et 2024, mais elles ont toutes connu plusieurs épisodes de pollution avant cette période. Et tout récemment (le 17 janvier 2025), à Nogent-sur-Seine, une eau contenant plus de 1 000 Bq/l de tritium a été déversée à l’extérieur du local de la station de rejet en Seine.
Entre 10 et 100 Bq/l : Cattenom, Chinon, Chooz, Civaux, Fessenheim, Saint-Alban, Saint-Laurent
Cattenom, Chooz, Civaux et Fessenheim ont connu un pic de contamination suivi d’une lente décrue de plusieurs années.
À Fessenheim, alors que la centrale a été arrêtée en 2020, des valeurs supérieures à 10 Bq/l ont été détectées en 2021, 2022 et 2024. N’oublions pas, pour ce site, que la nappe communique avec le Rhin et que les centrales nucléaires suisses sont situées en amont de Fessenheim sur le Rhin et ses affluents.
Chinon et Saint-Laurent présentent une contamination permanente des nappes, de l’ordre de plusieurs dizaines de Bq/l.
Pour Saint-Alban, « de 1999 à 2003, des incidents ont entraîné un impact sur la nappe » mais l’IRSN indique ne pas disposer des résultats des mesures correspondant à ces incidents…
Entre 100 et 1 000 Bq/l : Belleville, Blayais, Cruas, Dampierre, Flamanville, Penly
Ces 6 centrales sont marquées par de multiples pics de contamination qui, pour certains, se succèdent de manière rapprochée.
Pour Cruas et Dampierre, la valeur de 1 000 Bq/l dans les eaux souterraines a été dépassée avant 2015 (Cruas : 3 400 Bq/l en 2004/2005 ; Dampierre : 1 300 Bq/l en 2012 et 9 900 Bq/l en 1996). À Cruas, la contamination de 2004/2005 a concerné un “forage d’eau potable du site”.
Jusqu’à 990 Bq/l ont été mesurés dans le “réseau d’eau potable” proprement dit. Il nous a été rapporté, de source directe, qu’à ce jour le personnel du site est contraint de boire de l’eau en bouteille, sans savoir si cela a un lien avec l’épisode de 2004.
À Penly, le plus important épisode de contamination est survenu fin 2024/début 2025. La valeur maximale (209 Bq/l) a largement dépassé celle de l’épisode de 2013 (60 Bq/l) suite auquel EDF avait été condamné.
Au-delà de 1 000 Bq/l : Bugey, Gravelines, Tricastin
Pour ces trois centrales, quasiment pas une année ne se passe sans qu’une contamination supérieure à 100 voire à 1 000 Bq/l ne soit enregistrée.
Sur la période considérée, c’est au Tricastin que la valeur la plus élevée a été mesurée (28 900 Bq/l en 2021). Mais l’IRSN rapporte des épisodes antérieurs de contamination plus importants encore (notamment 80 000 Bq/l à Gravelines en 1984).
Au Tricastin, la situation se dégrade nettement depuis fin 2019. La contamination concerne principalement l’intérieur de l’enceinte géotechnique. Il s’agit d’un mur de 60 centimètres d’épaisseur qui s’enfonce sur une douzaine de mètres dans le sol, jusqu’à une couche de marnes imperméables, et qui entoure la partie centrale où se trouvent les réacteurs et la salle des machines. L’enceinte géotechnique est censée piéger la pollution pour éviter qu’elle ne contamine le reste de la nappe. Mais du tritium est régulièrement détecté dans des piézomètres situés à l’extérieur de l’enceinte, tant au nord qu’au sud du site (6).

D’après l’IRSN (7), il y a dix ans (8), Tricastin était l’un des quatre seuls sites dotés d’une enceinte géotechnique en bon état (9). Pour six autres, les enceintes comportaient des brèches (10). Les neuf sites restants étaient tout bonnement dépourvus d’enceinte (11)…
Comme ce dossier le montre, en fonctionnement classique, aucune des centrales nucléaires d’EDF n’est capable de maintenir les eaux souterraines à l’abri d’une contamination radiologique. Ces eaux ne sont pas isolées de celles situées en aval hydraulique de la centrale, y compris lorsque le sous-sol de la centrale comporte une enceinte géotechnique. En cas de rejets massifs, le milieu aquatique serait forcément impacté à court terme.
Notes :
1 « À l’exception des infiltrations éventuelles d’eaux pluviales dans les conditions définies aux articles 4.1.9 et 4.1.14 et des réinjections, dans leur nappe d’origine, d’eaux pompées lors de certains travaux de génie civil ». Arrêté du 7 février 2012 fixant les règles générales relatives aux installations nucléaires de base, article 4.1.12.
2 https://www.mesure-radioactivite.fr/
3 « État de la surveillance environnementale et bilan du marquage des nappes phréatiques et des cours d’eau autour des sites nucléaires et des entreposages anciens de déchets radioactifs », rapport pour le Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire, 2008.
4 EDF est censée mener des investigations à partir de 20 Bq/l mais sans obligation de déclaration.
5 Il convient toutefois de noter que dans les deux cas ce n’est pas la présence de tritium dans les eaux souterraines qui a entraîné la condamnation d’EDF, mais la cause de cette contamination, à savoir le non-respect de la réglementation en matière d’étanchéité des récipients de stockage ou entreposage de liquides radioactifs (article 14 de l’arrêté du 31 décembre 1999 fixant la réglementation technique générale destinée à prévenir et limiter les nuisances et les risques externes résultant de l’exploitation des installations nucléaires de base).
6 Cf. TU 93 de mars 2022 et TU 97 de mars 2023.
7 Avis IRSN n°2014-00286 du 21 juillet 2014.
8 Nous n’avons pas trouvé trace d’un état des lieux accessible au public plus récent.
9 Avec Blayais, Nogent et Cruas.
10 Bugey, Chooz, Dampierre, Gravelines, Saint-Laurent, Belleville.
11 Cattenom, Chinon, Civaux, Flamanville, Golfech, Paluel, Penly, Saint-Alban, Fessenheim.
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Rédaction du dossier :
Laure Barthélemy, Marion Jeambrun, Julien Syren •
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