07/08/2015 – Contamination des sols en montagne par Tchernobyl : réponses aux questions de citoyens

Contamination résiduelle des sols en montagne par le césium 137 lié à la catastrophe de Tchernobyl / Eléments de réponse aux questions posées à la CRIIRAD par des citoyens.

Suite à la publication du communiqué CRIIRAD du 31 juillet 2015 « France / impact de Tchernobyl 29 ans après : Dans les Alpes, certains sols sont toujours des « déchets radioactifs » », la CRIIRAD a reçu beaucoup de questions de la part de citoyens ; le texte ci-dessous comporte des éléments de réponse. Il sera complété en fonction des questions que la CRIIRAD recevra.

1 / A-t-on une carte de localisation des points d’accumulation, c’est-à-dire des secteurs où le césium 137 est particulièrement « concentré » dans le sol ? Pourquoi la CRIIRAD est-elle retournée en juillet 2015 dans ce secteur du Mercantour ?

Les retombées de Tchernobyl sur le territoire français

L’ensemble du territoire français a été touché par les retombées radioactives consécutives à la catastrophe de Tchernobyl. Les masses d’air contaminé comportaient tout un cocktail d’éléments radioactifs dont le césium 137 période physique 30 ans), le césium 134 (période physique 2 ans) et l’iode 131 (période physique 8 jours).
Les études conduites par le laboratoire de la CRIIRAD, entre 1986 et 1993, sur la base de carottages de sol, ont permis d’établir (a posteriori), que les retombées les plus intenses (plus de 10 000 Bq/m2 en césium 137) concernaient une large bande à l’est du territoire français, de la Corse à l’Alsace. En fonction du niveau des précipitations au début du mois de mai 1986, de la topographie, de la nature du couvert végétal, les retombées ont dépassé les 30 000 Bq/m2 dans certains secteurs.

> Voir carte des retombées en césium 137 de Tchernobyl
La question du mensonge des autorités et le combat de la CRIIRAD pour que les services de l’Etat publient des cartes correctes des retombées est explicité dans la synthèse publiée en 2002

A la fin des années 90, le géologue indépendant André Paris a entrepris de dresser, avec le soutien scientifique de la CRIIRAD, un atlas des contaminations radioactives en France et en Europe. Cet atlas donne les résultats de mesure de la contamination résiduelle en césium 137 des sols, sur la période 1999-2000, exprimée en Bq/m2 de césium 137. Il ne s’agit pas uniquement du césium 137 provenant des retombées de Tchernobyl, mais de la quantité résiduelle « totale » de césium 137 évaluée à partir de mesures spectrométriques de terrain. Le césium 137 mesuré dans le cadre de cette campagne provient en grande partie de Tchernobyl, mais une part correspond au reliquat des retombées des essais nucléaires atmosphériques, particulièrement intenses dans les années 50-60.
Les cartes de cet atlas renseignent sur la contamination moyenne des sols, mais ne rendent pas compte des « points d’accumulation ».

> Extrait des cartes de l’atlas : France

> Extrait de la carte de l’atlas : sud-est de la France

Les « points d’accumulation » du césium 137 dans les sols en montagne

Dans certains secteurs en montagne, en particulier dans l’Arc Alpin (en général au-delà de 1 600 mètres), se sont produits, à l’issue des retombées de 1986, des phénomènes d’accumulation.

En fonction de la topographie, des conditions climatiques, de la nature du couvert végétal et de la typologie des sols, l’élément radioactif qui s’est déposé sur de vastes étendues a pu être redistribué et induire de très fortes accumulations dans les sols. Une des explications principales tient au fait qu’en montagne, le césium est parfois tombé sous forme neigeuse. Le manteau neigeux a été, dans certains cas, déplacé par le vent et a pu s’accumuler à certains endroits. Lors de la fonte des neiges, les eaux de fonte contaminées ont à leur tour contaminé le sol où une partie du césium est resté piégé. D’autres mécanismes d’accumulation sont également à prendre en considération, comme le rôle de la végétation (zone de gouttage au pied des arbres, phénomène d’écoulement préférentiel le long du tronc des hêtres, etc.) ou des bâtiments (accumulation en pied de gouttière, etc.).

La CRIIRAD a travaillé sur cette question avec le soutien de bénévoles et en particulier du géologue André Paris. Les premières campagnes de mesure (1996-1998) ont montré l’existence de ces points d’accumulation dans le Mercantour et les Ecrins, avec des activités massiques en césium 137 dans les sols supérieures à 10 000 Bq/Kg en certains points, voire supérieures à 100 000 Bq/kg dans le Mercantour.

> Voir fiche CRIIRAD d’avril 1997 : Mercantour et Ecrins

Les campagnes de mesures ultérieures conduites par André Paris et la CRIIRAD ont montré que ce phénomène concernait de nombreux secteurs de l’Arc Alpin en France, en Suisse, en Italie, et en Autriche.

> Rapport CRIIRAD de 1998 : contamination radioactive de l’Arc Alpin
> Article en anglais sur les retombées de Tchernobyl en France et sur les zones d’accumulation en milieu Alpin (2001)
> Carte des points d’accumulation analysés par la CRIIRAD dans l’Arc Alpin en France, Suisse, Italie, Autriche (1996-1997)

Campagnes médiatiques et interpellation des pouvoirs publics

La CRIIRAD a mené plusieurs campagnes d’information et d’interpellation des pouvoirs publics, en particulier entre 1996 et 1998, pour sensibiliser sur la problématique des contaminations spécifiques en montagne, avec en particulier la mission d’août 1998 dans le Mercantour où nous avons pu montrer la réalité des points d’accumulation aux autorités sanitaires (OPRI et Secrétaire d’Etat à La Santé)
Extrait du journal télévisé de France 2 (août 1998)
Diaporama de la mission CRIIRAD d’août 1998 dans le Mercantour avec les autorités

Contexte des nouvelles mesures CRIIRAD de juillet 2015 dans le Mercantour

La nouvelle campagne de mesures CRIIRAD de juillet 2015 dans le Mercantour, a pour objectif de maintenir la pression sur les autorités pour qu’elles produisent des cartes détaillées et gèrent les points les plus radioactifs situés sur des zones fréquentées par le public. Il faut porter une attention plus particulière à des points d’accumulation qui pourraient être proches de tables de pique-nique, bergeries, bord de lacs, etc. Dans ces cas, il nous semble légitime de demander que ces secteurs soient balisés voire traités (décapage de la couche superficielle du sol). Ce secteur particulier du Mercantour, aux environs du col de Restefond La Bonette, a été choisi, car c’est là que nous avions pu, en août 1998, faire des mesures en présence des autorités.

Nous souhaitions vérifier si cette zone avait fait l’objet d’un balisage ou d’un assainissement. Le constat est que la radioactivité reste élevée et qu’il n’y a aucune indication sur le terrain (Point PC3 dans le communiqué CRIIRAD du 31 juillet 2015).
Il s’agit également pour la CRIIRAD :

  • de rappeler l’ampleur du mensonge d’Etat en 1986 : le communiqué du Ministère de l’agriculture en date du 6 mai 1986 indiquait en effet : « Le territoire Français, en raison de son éloignement, a été totalement épargné par les retombées de radionucléides consécutives à l’accident de Tchernobyl ». La forte contamination toujours détectable 29 ans après la catastrophe permet d’apprécier, a posteriori, l’ampleur de ce mensonge.
  • d’obtenir de l’Etat, la reconnaissance des doses subies en 1986 par certains groupes critiques, en particulier les enfants, qui ont pu recevoir, du fait de la contamination élevée de certaines denrées par l’iode 131, des doses supérieures aux limites sanitaires de l’époque (dose à la thyroïde).
  • d’obtenir la publication, par l’Etat et ses services, de toutes les données de 1986 : contamination des sols, de l’air, des aliments, des bioindicateurs, ainsi que les notes de service et compte rendu de réunion au plus haut niveau, permettant de comprendre qui a décidé de nous mentir et de ne pas nous protéger à l’époque et pourquoi ?
  • de rappeler le fait que, dans le sud-est de la France, à 1 900 kilomètres de Tchernobyl, et plus de 29 ans après la catastrophe, certains sols restent contaminés à plus de 100 000 Bq/kg. Ceci doit nous interpeller sur ce qui se passerait en cas de catastrophe nucléaire sur un réacteur situé à quelques kilomètres de nos frontières, ou au cœur du territoire français. La période physique du césium 137 est de 30 ans et il faut attendre 300 ans pour que sa radioactivité soit divisée par 1 000.

Localiser les points d’accumulation :

La CRIIRAD est une association loi 1901, et les travaux qu’elle a effectués depuis 1996 sur la question des points d’accumulation en milieu Alpin ont été réalisés sur ses fonds propres, c’est-à-dire grâce aux cotisations et dons de ses adhérents. L’association n’a pas les moyens de cartographier tout le Mercantour, et encore moins tout l’Arc Alpin.
Comme le montre la vidéo tournée par la CRIIRAD le 6 juillet 2015 dans le Mercantour,  la radioactivité est très variable d’un mètre à l’autre autour de ces points d’accumulation. Les points d’accumulation les plus radioactifs sont de surface réduite, mais entre les points, il existe tout un continuum de niveaux plus ou moins élevés.
L’établissement de cartographies détaillées est un travail qui nécessite des moyens lourds.

Les citoyens peuvent-ils repérer les fortes accumulations au moyen d’un compteur Geiger ?

Compte tenu de la distribution spatiale complexe des points d’accumulation, des repérages au moyen d’un compteur Geiger grand public comme le RADEX (appareil utilisé sur le point chaud PC3 dans la vidéo tournée le 6 juillet 2015) sont très fastidieux. Il est plus efficace d’utiliser des appareils plus sensibles comme les scintillomètres (par exemple le SPP2 utilisé également dans cette video)…
Cependant, un compteur Geiger grand public peut être utile pour tester la radioactivité du sol sur une zone de superficie limitée, par exemple un point où l’on souhaite établir un bivouac.

 

2 / Est il dangereux de se promener dans le Mercantour ?

Le césium 137 présent dans le sol émet en se désintégrant des rayonnements ionisants : particules bêta et rayonnements gamma. Les rayonnements gamma sont très pénétrants et entrainent une exposition des personnes qui stationnent sur les sols contaminés. Le débit de dose se mesure en microSieverts par heure (µSv/h).

Lorsque la contamination en césium 137 des sols est de l’ordre de quelques Bq/kg à quelques dizaines de Bq/kg, comme c’est le cas sur la majeure partie du territoire français, l’exposition externe est « faible » par rapport au niveau naturel de radiation, qui provient de la désintégration des éléments radioactifs naturels présents dans le sol (uranium 238, uranium 235, thorium 232 et leurs descendants radioactifs, potassium 40) et du rayonnement cosmique.
Mais lorsque la contamination en césium 137 du sol est élevée, l’augmentation du niveau de radiation liée à cet élément artificiel devient significative.

En ce qui concerne le Mercantour, par exemple, un « stationnement » de 2-3 heures sur le point le plus actif  relevé lors de la mission CRIIRAD du 5-6 juillet 2015 (5 µSv/h au contact du sol) représente une dose supérieure à 10 microSieverts environ si l’on est allongé sur le sol et à
2 microSieverts (pour une personne debout : valeur évaluée à 1 mètre du sol). Un bivouac de
8 heures pourrait donc entrainer une exposition de plusieurs dizaines de microSieverts (personne allongée sur le sol).

Mais comme le niveau de radiation varie à 1 mètre près latéralement, il est difficile d’évaluer l’exposition réelle des personnes qui fréquentent ces massifs car, à quelques mètres des points d’accumulation, on retrouve des zones à faible radioactivité.

Au sens de la Directive Euratom 96/29 qui traite des « pratiques nucléaires », une exposition supérieure à 10 microSieverts n’est plus considérée comme négligeable. L’exposition externe des personnes qui fréquentent régulièrement ces massifs peut donc être qualifiée de « non négligeable » au sens de la radioprotection.

Les autorités répondent parfois qu’il faudrait passer des centaines d’heures allongé sur les points les plus radioactifs pour dépasser la  dose maximale annuelle admissible qui est de 1 000 microSieverts par an (1 milliSievert par an).

Mais cette limite n’est pas un « seuil d’innocuité ». Elle constitue la limite au-delà de laquelle le risque de cancer à long terme est considéré comme « inacceptable » par la CIPR (Commission Internationale de Protection Radiologique). Cette valeur de 1 milliSievert par an correspond , selon l’évaluation de 2007 de la CIPR, à 17 cancers pour 100 000 personnes exposées
Mais en fait, toute dose augmente les risques. C’est pourquoi un des principes de base en radioprotection est le maintien des expositions au niveau le plus bas raisonnablement possible. Plus la dose est faible, plus faibles sont les risques.

Pour certains groupes de population susceptibles de passer beaucoup de temps dans ces alpages (bergers par exemple), l’exposition externe cumulée sur l’année peut être significative et mérite d’être prise en considération.

 

3 / Risque-t-on d’être contaminé en mangeant des champignons ?

Pour évaluer l’impact lié à la contamination résiduelle des sols par le césium 137 sur les personnes qui vivent dans les zones concernées, il faut ajouter à l’exposition externe évoquée plus haut, les doses éventuelles liées à l’ingestion d’aliments ou d’eau qui pourraient être contaminés par le césium 137.

En ce qui concerne l’ingestion, certaines denrées sont susceptibles en 2015, d’être toujours contaminées par le césium 137 de Tchernobyl, en particulier certaines espèces de champignons, certains gibiers, baies, produits laitiers, etc.
Les analyses effectuées par la CRIIRAD entre 1986 et 1997 ont permis de proposer une classification des espèces de champignons à risque.

> Fiche CRIIRAD champignons (1997)

Les mesures effectuées par la CRIIRAD en 1996 sur des champignons du Mercantour avaient confirmé une contamination notable de certaines espèces. La CRIIRAD avait mesuré par exemple 13 680 Bq/kg sec en césium 137 dans des « Pied Bleu » cueillis dans le secteur du Boréon et 12 300 Bq/kg sec dans des « Bolets élégants » du secteur de La Lombarde. Cela correspond à plus de 1 200 Bq/kg frais (pour un taux de matières sèches de 10 %) soit le double des normes européennes de commercialisation en vigueur à l’époque.

> Analyses de champignons du Mercantour (CRIIRAD – 1996)

En 2015, compte tenu de la contamination persistante des sols, les champignons restent une denrée à risque.
Dans le doute, il est préférable, dans les secteurs les plus touchés, de limiter sa consommation des espèces de champignons à risque.

Rédacteur : B. Chareyron, directeur du laboratoire de la CRIIRAD, 7 août 2015