11/10/2001 – Premiers résultats de l’enquête sur les conséquences sanitaires de l’accident de Tchernobyl sur la Franche-Comté

Publication des 1ers résultats de l’enquête sur les conséquences sanitaires de l’accident de Tchernobyl sur la Franche-Comté.
Réactions de la CRIIRAD

La CRIIRAD tient tout d’abord à saluer l’initiative de l’union régionale des médecins libéraux de Franche Comté (URML-FC) et la mobilisation bénévole des médecins généralistes (1). Le Pr Jean-François VIEL, responsable scientifique de l’étude, a ainsi démontré que lorsqu’on a la volonté d’agir, on peut passer outre les blocages institutionnels.

Chez les enfants, l’incidence des cancers de la thyroïde est multipliée par 2 !
… mais l’augmentation n’est pas jugée statistiquement significative.
L’enquête a porté sur les enfants qui avaient moins de 15 ans au moment du diagnostic. Deux périodes sont considérées : 1980 – 1989 et 1990 – 1998. Les auteurs ont en effet tenu compte d’un temps de latence de 4 ans (de 1986 à 1990), pendant lequel les effets de l’exposition aux retombées radioactives de Tchernobyl (2) ne devaient pas s’exprimer.

L’étude montre une augmentation nette de l’incidence des cancers de la thyroïde :
3 cas en 10 ans sur la période 1980 – 1989,
pour 2 399 208 personnes-années, soit une incidence de 1,25 pour 1 million.
5 cas en 9 ans sur la période 1990 – 1998,
pour 1 942 847 personnes-années, soit une incidence de 2,57 pour 1 million.

L’incidence du cancer de la thyroïde est donc multipliée par 2,06.

Les auteurs concluent cependant que l’augmentation n’est pas statistiquement significative.

Ce point doit être explicité car c’est toute la difficulté du dossier de l’impact sanitaire de Tchernobyl sur la France. Le cancer de la thyroïde, en particulier chez l’enfant, est un cancer très rare (de l’ordre de 0,5 à 1 cas pour 1 million). Dans ces conditions, même si l’incidence augmente fortement, les résultats restent entachés de trop d’incertitude pour être qualifiés de statistiquement ” significatifs “.
On peut obtenir des résultats incontestables dans des situations comme celle du Bélarus où certains auteurs ont parlé d’une véritable ” épidémie ” de cancers de la thyroïde. Ce n’est évidemment pas le cas de la France, où les niveaux d’exposition étaient nettement plus faibles.
Par contre, lorsque l’incidence des cancers passe de 1,3 à 2,6 cas pour 1 million, s’il est impossible de conclure avec certitude (3) qu’il y a une augmentation, on peut encore moins conclure qu’il n’y en a pas !
Sur les 5 enfants diagnostiqués pendant la période 1990-1998, on peut considérer (4) que 2 ou 3 d’entre eux auraient pu être épargnés par la maladie s’ils n’avaient pas été exposés aux retombées de Tchernobyl. Il est cependant impossible de le démontrer avec un taux de confiance de 95%. On ne peut affirmer avec ce niveau de certitude que l’origine de leur maladie est liée à l’absence de protection contre la contamination provoquée par Tchernobyl. Si la question était ” Est-il possible, ou même probable, que leur maladie vienne de Tchernobyl ? “, la réponse serait différente.
Pareillement, si la charge de la preuve était inversée, s’il appartenait à l’Etat de démontrer, sur la base de ces mêmes chiffres, que le cancer de ces enfants n’a aucun lien avec leur exposition aux retombées de Tchernobyl, il en serait totalement incapable.

 

Questions en suspens…
De la constitution des registres aux études de cohortes.
Dans l’étude réalisée sur la Franche-Comté, la période qui sert à étudier l’impact sanitaire éventuel de Tchernobyl inclut à la fois des enfants exposés aux isotopes radioactifs de l’iode et des enfants qui n’ont pas été exposés puisqu’ils n’étaient pas encore nés. On ignore ainsi à quelle catégorie appartiennent les 5 cas de cancer diagnostiqués pendant la période 90 – 98 : selon que les 5 enfants ont été exposés à l’iode radioactif ou que seulement 1 ou 2 d’entre eux l’ont été, l’interprétation change radicalement. Il faudrait également préciser la répartition des 3 cas de cancer dans la période de référence (1980-1989) afin de déterminer si 1 ou plusieurs des 3 cas ont été diagnostiqué dans les années 87-89, pour lesquelles l’absence d’incidence de Tchernobyl ne peut être exclue à 100%.
Par ailleurs, la CRIIRAD et l’association française des malades de la thyroïde (AFMT) ont enregistré de nombreux cas de cancer de la thyroïde chez de jeunes adultes. Or, cette tranche d’âge est exclue de l’étude. (Un enfant qui avait 10 ans en 1986, n’est pas pris en compte dès lors qu’il a été diagnostiqué après 1990, car il avait alors plus de 15 ans ). L’étude doit donc être élargie et poursuivie dans le temps.

Répondre à ces questions implique la mise en oeuvre de nouveaux outils méthodologiques et nécessite des moyens financiers adaptés. L’étude dirigée par le Pr VIEL constitue une première étape précieuse : sur les 4 départements de Franche-Comté, seul le département du Doubs disposait d’un registre des cancers (5). L’important travail de recensement et de mémoire effectué par les médecins généralistes a permis de combler cette lacune. Cette enquête exemplaire doit maintenant servir de base à des études plus spécifiques (des études de cohortes comparant les enfants qui avaient moins de 15 ans en 1986 aux enfants nés après juillet 1986 par exemple) à réaliser sur le long terme (des décennies de suivi sont indispensables) et sur une assise géographique plus étendue.

Pour la CRIIRAD, ces premiers résultats rappellent, en effet, que la question de l’impact sanitaire de Tchernobyl reste entièrement posée et qu’il faut maintenant aller au bout des interrogations.

 

La CRIIRAD exige des études épidémiologiques adaptées
… et des garanties !
Pour contourner le problème de la faiblesse statistique des études qui portent sur des pathologies dont l’incidence est rare, il faut étendre l’assise géographique des enquêtes épidémiologiques, au territoire français en général et à la CORSE en particulier.

La CRIIRAD a, en effet, démontré que l’Ile de beauté fait partie des régions de France les plus contaminées (seule zone où la contamination en iode 131 était encore détectable en juillet 86 !), et que les habitants ont été particulièrement exposés du fait de leurs habitudes alimentaires et de leur carence en iode.

La CRIIRAD a également démontré (en se basant sur des chiffres officiels), l’importance des doses de rayonnement reçues par les habitants et la responsabilité de l’Etat qui n’a pas mis en place les mesures de protection que lui imposaient la réglementation en vigueur (non au titre du principe de précaution mais du respect de ses obligations réglementaires).

Les pouvoirs publics ont initié, très récemment, une étude épidémiologique sur la Corse mais, en l’état, ce projet pose plusieurs problèmes, notamment :

1. l’étude sanitaire est mise en oeuvre par des organismes (ORS (6) appuyé sur l’IPSN (7) et l’OPRI (8)) qui sont tous trois impliqués dans la (mauvaise) gestion des retombées de Tchernobyl. A ce jour, la CRIIRAD n’a aucune garantie sur les possibilités d’accès aux résultats par des médecins ou chercheurs indépendants : il est impératif de pouvoir vérifier si tous les cas ont bien été pris en compte et si les chiffres n’ont pas été altérés,.
2. l’étude prévue par les autorités doit s’arrêter en l’an 2000 : cette durée est beaucoup trop limitative : la cohorte des enfants (mais aussi des adultes) exposés en 1986 doit être suivie jusqu’au bout. Rappelons en effet que le temps de latence des cancers solides est de plusieurs dizaines d’années.
3. l’étude concerne exclusivement l’incidence des cancers de la thyroïde. C’est insuffisant. La surveillance sanitaire des populations les plus exposées en 1986 doit être complète. Ceci implique la prise en compte de l’ensemble des pathologies (thyroïdiennes ou non), cancéreuses et non cancéreuses (thyroïdites de Hashimoto, par exemple), sans a priori, et en s’inspirant des résultats obtenus en Bélarus et Ukraine.

 

Un enjeu essentiel : obtenir des autorités françaises et européennes la correction
des cartes officielles de la contamination.
 

La réalisation d’études épidémiologiques pose la question des corrélations entre les observations sanitaires et les niveaux de contamination des différentes régions de France. Une première lecture (9) des résultats de l’enquête sur la France-Comté pourrait indiquer, par exemple, que les cas de cancers sont enregistrés sur le Jura et le Doubs, deux départements très contaminés par Tchernobyl, et non sur la Haute-Saône, département un peu moins affecté.

Or, la carte de France officielle de la contamination des sols établie par les services officiels français et validée par l’Europe est TOTALEMENT ERRONEE !
Dès lors, toute étude de corrélation sera biaisée.

Plus de quinze après Tchernobyl, cette situation est inacceptable. La CRIIRAD mettra tout en oeuvre pour obtenir des correctifs officiels d’ici la fin de l’année. La journée spéciale du 11 octobre (10) prochain marquera une étape décisive dans l’obtention de la reconnaissance de la contamination réelle de notre territoire.

Si la saisine des autorités publiques ne suffit pas, le dossier sera porté devant les instances judiciaires européennes.

 

(1) Le taux de réponse, très élevé (96%) contraste avec l’absence de toute réponse des médecins conseils de la région, et au-delà de toute aide de l’Etat en dépit de diverses déclarations publiques.
(2) Pour les isotopes radioactifs de l’iode, l’exposition a été limitée à la période fin avril 86 – juillet 86.
(3) L’intervalle de confiance retenu est de 95% : c’est-à-dire qu’on exige un niveau de confiance très élevé avant d’affirmer qu’il y a quelque chose. S’agissant d’une question sociale, d’un enjeu de santé publique, cet aspect devrait être débattu. Il serait utile que l’étude présente ultérieurement les résultats pour différents niveaux de confiance.
(4) En supposant que les 5 cas correspondent à des enfants exposés en 1986.
(5) Cette carence n’est malheureusement pas propre à cette région.
(6) Observatoire régional de la Santé.
(7) Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire
(8) Office de protection contre les rayonnements Ionisants (en tant que successeur du SCPRI)
(9) Ceci n’est qu’une indication préliminaire, l’analyse de corrélation nécessite une véritable analyse incluant les nombreux facteurs de biais.
(10) Cette journée inclura une conférence de presse à Valence (Drôme) à 10h00, des mesures de terrain dans les secteurs Sisteron et Digne de 14h à 16h30 (le maire de Sisteron, s’appuyant sur une expertise de l’IPSN, a porté plainte contre la CRIIRAD pour diffusion de ” fausses nouvelles ” concernant l’impact de Tchernobyl !), la participation à une conférence de l’IPSN, à 18h30, à l’hôtel de ville d’Aix-en Provence, puis, à 20h30, dans cette même ville, une réunion publique à la salle Voltaire.


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