14 septembre 2001 – Dossier SICN Annecy Analyses et positions de la CRIIRAD

Commentaires détaillés
Vendredi 14 septembre 2001

A. Présentation générale

1. Introduction

A la demande des Verts de Haute-Savoie, commanditaires de l’étude, le laboratoire de la CRIIRAD a procédé, le 20 juillet 2001, à des contrôles et prélèvements dans l’environnement de l’établissement SICN d’Annecy. Les 9 échantillons prélevés (sédiments, boues, aiguilles de pins) ont été analysés par spectrométrie gamma entre le 31 juillet et le 8 août. Les résultats et commentaires de la CRIIRAD ont été présentés à Annecy, le jeudi 13 septembre 2001, par Roland Desbordes, président de la CRIIRAD, en présence de Dominique Voynet, au cours d’une conférence de presse, puis d’une réunion publique.

Le présent document expose l’analyse de la CRIIRAD et les demandes qu’elle formule en vue d’améliorer le contrôle de l’établissement SICN et de diminuer l’impact de ses rejets sur l’environnement.
Les protocoles et résultats de mesure sont présentés dans le rapport d’étude établi par son laboratoire, également disponible sur ce site (cf. bas de page).

 

2. Quelques précisions sur la SICN

La Société Industrielle de Combustible Nucléaire est une filiale à 100% de la Cogéma qui exploite à Annecy, depuis 1957 (1), un établissement spécialisé dans la métallurgie et l’usinage de l’uranium.

L’uranium utilisé est de l’uranium pur c’est-à-dire une matière nucléaire obtenue après extraction et purification de l’élément uranium contenu dans le minerai uranifère (2).
Différents types d’uraniums ont été traités : uranium à composition isotopique naturelle (0,7 % d’uranium 235), uranium appauvri issu de l’enrichissement d’uranium naturel (0,2 à 0,3 % d’uranium 235), uranium issu de l’enrichissement d’uranium obtenu par retraitement de combustibles irradiés (d’où la présence d’isotopes artificiels comme l’uranium 236, des isotopes du plutonium et du neptunium).

L’établissement a travaillé l’uranium tant dans le cadre de commandes de l’industrie civile que de l’industrie de l’armement. Schématiquement, deux phases peuvent être distinguées :

1. la fabrication, depuis 1957, de combustible nucléaire pour les réacteurs de la filiale UNGG. Les réacteurs de cette filière utilisent l’uranium naturel (UN) comme combustible, le gaz (G) comme fluide caloporteur et le graphite (G) comme absorbeur de neutrons. En 1982, la production de combustible de l’établissement s’élevait à 2 000 tonnes par an (3). En France, la filière des réacteurs à eau pressurisée (REP) a remplacé celle des UNGG (4) et la production a fortement diminué, puis s’est arrêtée en 1991.

2. Le déclin de la filière uranium naturel a favorisé la reconversion de l’entreprise vers l’usinage de l’uranium appauvri et vers des activités non nucléaires comme la micromécanique ou la synthèse de quartz. D’après un rapport de la DRIRE (5), l’activité uranium se divise aujourd’hui en 4 productions :

a. fabrication de boulets de broyage ;
b. fabrication de protections dites ” biologiques “, conteneurs pour le transport ou le stockage de sources radioactives ;
c. réalisation de ” galets ” en uranium naturel utilisés pour l’élaboration d’uranium enrichi par le procédé Silva ;
d. fabrications destinées à des applications militaires.

Dans le cadre des productions pour la défense nationale, la SICN Annecy a notamment assuré la fabrication de pénétrateurs à l’uranium appauvri pour les obus-flèches destinés aux chars Leclerc (obus de 120 mm) et aux chars de combat MX30 (obus de 105 mm).
Ce type de fabrication remonterait à 1982 : fabrication de projectiles, de blindages et de cibles en uranium appauvri pour des essais militaires réalisés par la Division des applications militaires à Bourges et Gramat. Un cap est franchi en 1993, lorsque GIAT industrie (6) passe une commande importante à la SCIN. Un document officiel (7) atteste que le 11 mai 1993, la Nuclear Regulatory Commission (NRC), l’autorité nucléaire américaine, autorise la société Nuclear Metals (8), société américaine qui fabrique des munitions à l’uranium appauvri, à vendre à la SICN 1 000 tonnes d’uranium appauvri. D’après le ministère de la défense, la livraison aurait été répartie en 12 lots. Cette commande aurait nécessité la construction d’une extension et la fabrication des pénétrateurs aurait commencé en 1995 et se serait poursuivie jusqu’en 1998. L’assemblage des obus a été effectué à l’usine de Salbris.
Un document officiel américain (9) indique que l’uranium appauvri exporté par les Etats-Unis pour la fabrication de projectiles et blindages contient de l’uranium 236. Il est donc contaminé (10) par des produits de fission et des transuraniens (isotopes du plutonium et du neptunium notamment).
Ces informations longtemps restées secrètes ont été portées sur la place publique à l’occasion des débats sur le syndrome de la guerre du Golfe et sur l’état de santé des militaires ayant servi dans les Balkans.

(1) La SICN succédait à la société alsacienne de constructions mécaniques (SACM) qui avait démarré l’usine en 1955.
(2) L’uranium pur est obtenu à l’issue d’un processus industriel (extraction du minerai, extraction de l’élément uranium de la gangue minérale, processus de purification et concentration par différents traitements chimiques). Il ne faut pas confondre cette matière nucléaire (qu’il s’agisse d’uranium naturel, enrichi ou appauvri) avec l’uranium que l’on qualifie de naturel car on le rencontre à l’état dilué dans l’environnement : dans un sol typique, l’activité en uranium 238 est de 40 Bq/kg, dans l’uranium naturel utilisé comme combustible, elle est supérieure à 12 millions de Bq/kg.
(3) Source : la France nucléaire, matières et sites. Mary Byrd Davis, WISE, 1997.
(4) Réacteurs G1, G2 et G3 de Marcoule, A1 et A2 de Chinon, A1 et A2 de Saint-Laurent, réacteur n°1 de Bugey (sortis du réseau entre 1968 et 1994).
(5) Rapport du Chef de Subdivision d’Annecy (DRIRE Rhône Alpes, groupe des Deux Savoie), en date du 26 avril 2001
(6) Groupement Industriel des Armements Terrestres
(7) Publié par Bruno Barillot dans Uranium appauvri, un dossier explosif, Observatoire des armes nucléaires, Edition Golias.
(8) Aujourd’hui société Starmet.
(9) AEPI, U.S. Army Environmental Policy Institute ­ Juin 1995
(10) deux possibilités : soit l’uranium appauvri est un mélange d’uranium appauvri issu de l’enrichissement d’uranium naturel (fraction majoritaire) et d’UA issu du retraitement (fraction minoritaire), soit l’uranium naturel a été contaminé lors des opérations d’enrichissement si les installations servent à traiter aussi bien l’uranium naturel que l’uranium issu du retraitement des combustibles irradiés.

3. Pourquoi effectuer des contrôles indépendants autour de la SICN ?

– La SICN travaille sur de l’uranium pur, une matière nucléaire dont les principaux composants ont une forte radiotoxicité et une très longue période physique ( ” durée de vie “).
– Les activités de métallurgie de l’uranium sont particulièrement polluantes : usinage générant des poussières, des oxydes d’uranium, recyclage des copeaux, etc.
– Le site est implanté en pleine zone urbanisée (immeubles et maisons d’habitation, commerces…). Les rejets radioactifs dans l’atmosphère s’opèrent par des bouches d’aération et des cheminées de rejet situées à la hauteur ou même en contrebas de logements ou de bureaux.

– Même si la réglementation a évolué de façon positive depuis 1993, l’installation a fonctionné durant des décennies sans que soient mis en place des moyens adaptés pour le contrôle et la réduction des rejets. Deux exemples significatifs : Les eaux pluviales et de refroidissement (et peut-être d’autres origines) étaient dirigées vers des puits perdus situés sur le site, ce qui implique à plus ou moins long terme la contamination des eaux souterraines ; concernant le traitement des effluents gazeux pollués, l’efficacité des filtres était limitée à 85 % alors que les isotopes de l’uranium sont très radiotoxiques par inhalation.
– Malgré les récentes améliorations, le contrôle des rejets de polluants dans l’environnement repose presque entièrement sur l’auto-surveillance de l’exploitant, la place laissée aux contrôles extérieurs restant limitée.
– La CRIIRAD s’est interrogée sur l’ensemble des sites concernés par le stockage ou l’utilisation d’uranium appauvri. Le site d’Annecy est le seul où des responsables locaux (en l’occurrence les Verts) ont souhaité se donner les moyens d’un minimum de contrôle. La CRIIRAD a déjà consacré, depuis 1997, une part importante de ses fonds propres au dossier de l’uranium appauvri et ne peut en effet prendre en charge toutes les investigations qui seraient nécessaires.

 

B. Résultats des investigations de la CRIIRAD

1. Remarque préalable

Les investigations conduites par le laboratoire de la CRIIRAD ne constituent en aucune façon une étude d’impact environnementale qui nécessite un budget adapté et des contrôles d’une toute autre ampleur. Les investigations de terrain ont été limitées à une journée (déplacement, repérages, relevés et prélèvements inclus).
Par ailleurs, les analyses effectuées ne concernent que les polluants radioactifs (or l’installation rejette également des polluants chimiques).
Par conséquent, il n’est pas possible de poser un diagnostic environnemental ni, a fortiori, de répondre à la question du risque encouru par les riverains.
Les éléments recueillis permettent cependant de pointer un certain nombre de problèmes et de demander aux autorités de contrôle des compléments d’information, des contrôles environnementaux, des mesures de décontamination et des améliorations des dispositifs de surveillance.

 

2. Le réseau d’eaux usées de la ville d’Annecy est pollué par des rejets radioactifs d’origine médicale

a. L’impact des rejets de la SICN dans le milieu aquatique de surface n’a pas été mis en évidence.

Ce constat ne peut conduire à affirmer que les rejets radioactifs de l’installation n’ont pas marqué l’environnement. Les contrôles sont trop limités pour qu’une conclusion puisse être tirée.
En effet, quatre prélèvements seulement ont été effectués :
– 2 sédiments du Fier, en amont et aval immédiat de l’émissaire de rejet de la station de traitement des eaux usées de la ville. Il s’agit d’échantillons très sableux, à faible capacité de piégeage des radionucléides.
– 1 échantillon de boue prélevée à la station de traitement des eaux (après chaulage, en sortie d’épaississeur). Cet échantillonnage ponctuel soulève évidemment des problèmes de représentativité, aussi bien temporelle (si rejets radioactifs épisodiques) et massique (quelques centaines de grammes de matières prélevées par rapport à des tonnes de boues).
– 1 échantillon prélevé dans une canalisation de rejet d’eaux pluviales, en amont de l’émissaire des eaux usées, qui, après investigations complémentaires, s’est avéré collecter les eaux de ruissellement d’un quartier situé au nord de la SICN.

 

b. La boue prélevée au niveau de la station d’épuration témoigne par contre nettement de rejets de radionucléides artificiels dans le réseau d’eaux usées de la ville.

Iode 131 (période radioactive de 8 jours) : 21 Bq/kg (+/-6,2) ;
Indium 111 (période radioactive de 2,8 jours) : 95 Bq/kg (+/-36) ;
Thallium 201 (période radioactive de 3,05 jours) : 1 058 Bq/kg (+/-229).

Ces radionucléides sont couramment utilisés en médecine nucléaire. Ils ont deux origines possible :
1. les rejets d’un service de médecine nucléaire. D’après nos recherches, seul le centre d’imagerie nucléaire d’Annecy, le CIGNE, serait susceptible de rejeter ce type d’effluents.
2. les urines des patients à qui des substances radioactives ont été administrées (à des fins diagnostiques ou thérapeutiques), soit à Annecy, soit dans le service de médecine nucléaire d’une autre ville. Il s’agit dans ce cas de rejets diffus. Cet aspect est souvent méconnu, mais il faut savoir qu’environ 84 % de l’iode 131 administré est éliminé dans les 5 jours. Or, le séjour en chambre plombée est réservé aux patients ayant reçu de très fortes doses et, même dans ce cas, leur admission est limitée dans le temps. Les personnes ainsi contaminées sont de retour à leur domicile alors qu’elles n’ont pas encore éliminé la totalité des substances radioactives qui leur ont été administrées. Au-delà des rejets radioactifs, se pose la question de l’exposition des proches, et notamment des enfants.

Ces radionucléides ont heureusement des périodes radioactives (11) courtes (de 2,8 jours pour l’indium 111 à 8 jours pour l’iode 131), c’est-à-dire que leur activité décroît rapidement. L’installation de cuves de rétention de capacité suffisante permet de résoudre une partie du problème.

La contamination mise en évidence ne constitue pas une surprise. Nombre des contrôles environnementaux effectués par le laboratoire de la CRIIRAD ont démontré l’étendue du marquage radioactif des eaux de surface imputable à l’utilisation de substances radioactives en médecine.

Dès 1991, le laboratoire de la CRIIRAD avait mis en évidence, en partenariat avec plusieurs associations locales, la contamination chronique des eaux de la Garonne par l’iode 131. L’étude réalisée en 1994-1995 en collaboration avec l’ARPE (12) et la CGE (13) avait permis de démontrer que l’iode 131 provenait des services de médecine nucléaire de la ville de Toulouse et pour partie des rejets diffus des patients. Plusieurs dysfonctionnements avaient été mis en évidence : équipements insuffisants, défaut de prise en compte de la radioprotection, réglementation inobservée et inadaptée, etc.
Depuis 1996, un travail de fond est effectué pour le compte de l’Agence de Bassin Seine Normandie qui a permis d’identifier la présence quasi systématique d’iode 131 en aval des stations de traitement des eaux usées des villes qui disposent de services de médecine nucléaire. Des suivis plus précis, en partenariat avec des responsables de service de médecine nucléaire, doivent débuter dans les prochains mois. Ces études s’inscrivent dans un objectif global de diminution des rejets radioactifs dans le milieu aquatique.
La présence d’iode 131 a également été détectée en 2000 dans les plantes aquatiques du Rhône entre Lyon et Saint-Alban.
Le laboratoire de la CRIIRAD intervient régulièrement pour des contrôles de chargements lorsque se déclenchent les alarmes des portiques de détection de la radioactivité installés à l’entrée des centres d’enfouissement technique. Dans la majorité des cas, les déchets contaminés sont d’origine médicale.

La contamination des boues de stations d’épuration pose systématiquement la question du devenir des boues résiduelles (recyclage, incinération, etc.). Ce problème a été soulevé par la CRIIRAD pour les rejets de la FBFC (14) dans le réseau d’eaux usées de Romans-sur-Isère.

Le dossier des rejets radioactifs d’origine médicale fera l’objet d’une communication spécifique au premier trimestre 2002.

 

(11) La période radioactive est le temps nécessaire pour que l’activité diminue de moitié.
(12) ARPE, Agence Régionale Pour l’Environnement
(13) CGE, Compagnie Générale des Eaux
(14) FBFC, Franco Belge de Fabrication de Combustibles

 

3. La contamination de la nappe phréatique par l’uranium

Le laboratoire de la CRIIRAD n’a pas eu accès au piézomètre situé à l’intérieur du site SICN et n’a procédé à aucun prélèvement d’eau de nappe. Nous avons par contre étudié les résultats des analyses effectuées par la SICN dans le cadre de l’auto-surveillance prescrite par l’arrêté préfectoral de 1993.
L’arrêté préfectoral de 1993 prescrit la réalisation de prélèvements semestriels dans le piézomètre du site (P1) et le dosage de l’uranium. La DRIRE nous ayant communiqué les résultats de l’auto-surveillance pour l’année 2000, nous disposons de deux résultats :
– Prélèvement du 10 janvier 2000 : 55 microgrammes par litre, soit 1,5 Bq/l
– Prélèvement du 14 septembre 2000 : 46,5 microgrammes par litre, soit 1Bq/l

Ces résultats sont difficiles à commenter car ils ne satisfont pas aux critères scientifiques requis pour une bonne évaluation de la qualité radiologique de l’eau : dosage global de l’uranium, hypothèses non explicitées pour la conversion des microgrammes par litre aux becquerels par litre, incohérence dans la conversion entre les deux mesures, absence d’indication des marges d’incertitude, protocole de préparation non communiqué (on ignore s’il s’agit d’uranium soluble, insoluble, si la mesure est éventuellement faussée par l’éventuelle turbidité de l’échantillon etc.).

Sous réserve de la validité de ces mesures, les teneurs mesurées sont loin d’être négligeables et semblent traduire une pollution par les activités de la SICN. En effet :

1. Les analyses effectuées par le laboratoire de la CRIIRAD donnent, en l’absence de pollution, des activités en uranium non détectables, avec des seuils de détection variant typiquement, pour l’uranium 238 de 0,02 Bq/l à 0,2 Bq/l. Les niveaux attendus pour ce type d’eau souterraine sont de l’ordre de 5 fois à 50 fois inférieurs aux activités mesurées par l’exploitant.

Par ailleurs, les doses de rayonnement induites en cas de consommation de ces eaux sont loin d’être négligeables. Nous pouvons le démontrer à partir de deux références :

1. Le dépassement très net de la limite du risque négligeable dès lors que cette eau serait utilisée comme eau de boisson.


Sur la base d’un uranium dit naturel (rapport isotopique naturel), une teneur de 55 µg d’uranium, correspond à 54,6 microgramme d’uranium 238 (99,3 % de la masse totale) et à une activité de 0,677 Bq/l. L’activité de l’uranium 234 est par conséquent de 0,677 Bq/l et celle de l’uranium 235 de 0,031 Bq/l. Sur la base d’une consommation de 2 litres d’eau par jour, hypothèse habituellement retenue en radioprotection (la DRIRE retient même 2,2 l/j) et en utilisant les coefficients de dose de la directive EURATOM 96/29 désormais en vigueur en droit français, on parvient aux expositions suivantes :
– pour un adulte, à une dose efficace annuelle de 48 microsieverts par an ;
– pour un adolescent (12 ­ 17 ans) à une dose efficace de 71 microsieverts par an.

Ces chiffres sont respectivement 5 fois et 7 fois supérieurs à la limite du risque dit négligeable (soit 10 microsieverts par an). Or, cette limite s’applique à l’exposition totale générée par une installation (une pratique) alors que les valeurs présentées ci-dessus ne concernent que la consommation d’eau. Si l’on comptabilise l’ensemble des voies d’exposition (et notamment l’inhalation d’air contaminé), le bilan sera nécessairement alourdi.

2. Le dépassement des directives de l’OMS


Des directives de qualité pour l’eau de boisson ont été édictées par l’Organisation Mondiale de la Santé en 1994. Concernant la teneur en substances radioactives, l’OMS précise : ” En pratique, les valeurs guides recommandées pour l’activité volumique sont de 0,1 Bq/l pour la radioactivité alpha globale et 1 Bq/l pour la radioactivité bêta globale.(15) .

(15) Ses directives correspondent à une dose effective de 0,1 mSv/an. Les calculs sont basés sur une consommation de 2 litres par jour et sur le métabolisme d’un adulte. Les calculs doivent ensuite être affinés ce qui implique le dosage de chacun des radionucléides présents (la limite est de 4 Bq/l pour l’uranium 238 seul, mais 2 Bq/l s’il est accompagné de l’uranium 234, la limite est encore abaissée s’il y a de l’uranium 235, 236 ou du plutonium, etc.). Cette analyse est impossible à effectuer avec des dosages globaux de l’uranium

Tous les isotopes de l’uranium (naturels ou artificiels) sont des émetteurs alpha. La valeur guide à considérer est donc de 0,1 Bq/l, soit 10 à 15 fois moins que les valeurs mesurées dans la nappe sous-jacente à l’établissement SICN. Rappelons que le prélèvement a été effectué à 35 mètres de profondeur.
Pour l’OMS, les valeurs mesurées doivent incontestablement donner lieu à des investigations complémentaires.

En conclusion, il est impératif de diligenter une véritable étude de la qualité radiologique des eaux de nappe.

Ceci implique :
– l’identification et la quantification des différents radionucléides susceptibles d’être présents (radionucléides mis en oeuvre dans l’installation depuis 1957, et même 1955) ;
– un plan d’échantillonnage (à différentes profondeurs et différentes distances) permettant de définir l’extension de la pollution et d’en déterminer éventuellement l’origine.
Un rapport de la DRIRE signale que des analyses de sol ont été effectuées lors de la réalisation du piézomètre et que la contamination reste superficielle (pas de contamination au-delà d’un mètre de profondeur). Or :
– les mesures d’uranium global sont trop imprécises pour vérifier s’il n’y a pas d’infiltration des polluants uranifères en profondeur ;
– surtout, l’absence de contamination du sol à l’emplacement du piézomètre ne prouve pas l’absence de voies de transferts privilégiées en d’autres emplacements, en particulier au niveau des puits perdus mis en place sur le site. L’arrêté préfectoral de 1993 précise en effet que ” les eaux pluviales et de refroidissement sont actuellement dirigées vers des puits perdus situés sur le site. Des propositions de raccordement des réseaux existants aux réseaux urbains seront présentées à l’inspecteur des installations classées dès que ces réseaux urbains existeront. “. Nous n’avons pas d’information sur les possibilités de contamination des eaux de refroidissement, par contre les possibilités de contamination des eaux de ruissellement sont avérées. Par ailleurs, des témoignages font état de déversements de pièces en uranium défectueuses dans certains de ces puits (dont certains sont aujourd’hui bétonnés, certaines aires ayant été transformées en parking).

 

4. Les rejets radioactifs dans l’atmosphère ont abouti à des accumulations localisées de polluants nécessitant des actions de décontamination ciblées dans l’environnement de l’usine.

a. Les phénomènes de concentration des retombées radioactives.

La SICN rejette dans l’atmosphère (et à des hauteurs relativement peu élevées) des polluants, en particulier radioactifs. Ces polluants vont se disperser dans l’atmosphère, être entraînés en fonction des vents et retomber au sol en fonction de différents paramètres (masse, DADM des particules, conditions atmosphériques, etc) sous l’effet de la gravité et, de façon plus intense, en cas de pluie (phénomène de lessivage de la colonne d’air contaminée avec précipitation au sol des polluants). L’air est ” nettoyé “, mais la pollution est transférée au sol. Lorsque les radionucléides se déposent sur des surfaces inclinées et peu perméables, la configuration géométrique favorise alors le transfert des polluants atmosphériques et leur accumulation dans les points bas et les zones de collecte.
Ce phénomène joue de façon privilégiée au niveau des toits et des canalisations collectrices. L’eau contaminée peut alors être injectée dans le sol, se déverser en surface ou être filtrée par les matières qui obstruent les canalisations. Ces mécanismes de concentration agissent sur tous les types de polluants atmosphériques, d’origine naturelle ou industrielle.
Dans les matières (terre/sédiment) prélevées en limite du site de la SICN dans un chéneau (conduite qui borde le toît) et dans une canalisation de descente, on trouve ainsi accumulés du césium 137 déposé (pour l’essentiel) en 1986, lors du passage du nuage de Tchernobyl, du plomb 210 (provenant de la désintégration d’un gaz radioactif naturel, le radon) et les isotopes de l’uranium, témoins des rejets radioactifs de la SICN.

(cf. résultats détaillés des analyses dans le rapport d’étude du laboratoire).

b. Des déchets radioactifs dans l’environnement.

Le niveau de radioactivité de l’échantillon prélevé dans une canalisation permet de le classer clairement dans la catégorie des déchets radioactifs.

Ceci peut être démontré à partir de deux références :

1. les références données par les acteurs français du nucléaire (OPRI, DSIN, CEA, etc).

Selon les textes ou les pratiques, la limite d’activité massique totale varie de 1 000 ou 10 000 Bq/kg à 100 000 Bq/kg. Dans cette fourchette, les déchets sont désignés comme des déchets radioactifs appartenant à la catégorie des déchets dits TFA (de très faible activité). Or, l’activité massique totale de l’échantillon est de l’ordre de 40 000 Bq/kg.
Il ne s’agit pas en effet de déchets de moyenne ou haute activité, ni de déchets irradiants risquant de provoquer des brûlures. Nous sommes dans le domaine des faibles doses de rayonnement. Pour autant, il ne s’agit en aucun cas de matières banales : un déchet radioactif n’a rien à faire dans l’environnement.
Le décret de 1993 essaie d’ailleurs de prémunir l’intérieur du site contre ces phénomènes de reconcentration (cf. disposition du § 4.8.6), mais rien n’est prévu pour l’environnement et les riverains. Or la SICN n’est pas située au milieu d’un désert mais en pleine zone urbanisée.

2. les seuils d’exemption définis par la directive EURATOM 96/29, applicables en droit français depuis le 13 mai 2000.

– 10 000 Bq/kg pour l’uranium 238 (la limite prend en compte ses deux descendants immédiats : thorium 234 et protactinium 234m)
– 10 000 Bq/kg pour l’uranium 234
– 10 000 Bq/kg pour l’uranium 235 (la limite prend en compte son descendant immédiat le thorium 231)
– 10 000 Bq/kg pour le césium 137 (la limite prend en compte le baryum 137).

Pour chacun de ces radionucléides, la limite d’activité totale (sans référence de masse) est de 10 000 Bq.

Lorsqu’on examine les caractéristiques radiologiques de l’échantillon prélevé dans le tuyau de descente à la lumière des critères définis par les textes réglementaires, on constate :

Uranium 238 (et descendants) : 6 536 Bq/kg, soit 65,4 % de la limite
Uranium 234 : 6 536 Bq/kg, soit 65,4 % de la limite
Uranium 235 (et descendant) : 340 Bq/kg, soit 3,4 % de la limite
Césium 137 : 3 730 Bq/kg, soit 37,3 % de la limite d’activité massique

Or, dans le cas d’un mélange de radionucléides, on doit prendre en compte la contribution de chacun, c’est-à-dire faire la somme des quotients de la division de l’activité massique de l’échantillon par la limite réglementaire (c’est la règle d’addition, qui s’applique tant pour les limites d’activité totale que pour les limites d’activité massique).
– Si l’on additionne les rapports, on obtient ainsi un dépassement de plus de 70 % de la limite d’activité massique (17 142 Bq/kg pour une limite de 10 000 Bq/kg).
– Si l’on ne retient que les polluants imputables au fonctionnement de l’usine SICN : le dépassement reste encore très net : 34 % (13 412 Bq/kg pour une limite de 10 000 Bq/kg).

– La limite d’activité totale (10 000 Bq/kg) est atteinte dès lors que la masse de matière contaminée par ces radionucléides atteint 584 grammes.
– Si l’on ne considère que les polluants imputables à la SICN, la masse nécessaire pour que la limite d’activité totale soit dépassée est de 746 grammes.
Il est évident que dans la seule conduite échantillonnée, la masse de matière contaminée dépasse largement le kilogramme. Si les investigations étaient conduites dans l’ensemble de la zone, le bilan serait certainement fortement aggravé.

Les deux limites réglementaires, limite d’activité massique et limite d’activité totale sont donc dépassées.

Ces limites s’appliquent au stock de substances radioactives détenu ou utilisé par une entreprise. Dès lors que les limites sont dépassées, les réglements de radioprotection s’appliquent, l’entreprise doit déclarer son activité aux autorités compétentes, les travailleurs doivent être protégés des risques liés aux rayonnements ionisants, etc.
Or, dans le cas présent, nous ne sommes pas dans le cadre d’une activité industrielle avec des employés que l’on peut former, équiper de système de contrôle de l’exposition, prémunir des contaminations… mais en présence d’une matière prélevée en limite extérieure de l’installation. Des échantillons de ce type pourraient certainement être prélevés en d’autres emplacements dans la zone d’impact des rejets de la SICN.

 

C. Conclusion : les demandes de la CRIIRAD

 

Sur la base des contrôles effectués par son laboratoire et de l’analyse des documents mis à disposition par la DRIRE et par le représentants des Verts de Haute-Savoie, la CRIIRAD formule les demandes et recommandations suivantes :

 

1. Procéder, dans les meilleurs délais, au contrôle systématique de l’environnement de l’établissement SICN d’Annecy afin de repérer et de décontaminer tous les points d’accumulation des polluants rejetés par l’installation.

Une attention particulière devra être portée aux espaces publics et zones de jeux pour les enfants. Lorsque les polluants atmosphériques se déposent sur des surfaces peu perméables, ils peuvent être lessivés puis concentrés dans certains milieux récepteurs et filtrants où se constituent ainsi de véritables déchets radioactifs. De la même façon, les filtres des systèmes de ventilation ou climatisation vont concentrer les radionucléides rejetés par la SICN. Bien que faiblement irradiants, ces déchets ne peuvent en aucun cas être considérés comme un impact acceptable du fonctionnement de la SICN.
L’arrêté préfectoral du 24 septembre 1993 prévoit la remise en état du site (intérieur du périmètre, hors domaine public) en cas d’abandon de l’exploitation, c’est-à-dire dès lors que le site sera affecté à d’autres activités ou encore remis dans le domaine public. Ce nettoyage implique l’enlèvement de tous les déchets radioactifs. Dans cette logique, les déchets radioactifs qui se sont formés à l’extérieur de l’installation, c’est-à-dire dans l’environnement accessible à tout un chacun, espaces publics ou propriétés privées doivent être éliminés.

2. Déterminer, de façon précise et fiable, l’état radiologique (et chimique) de la nappe phréatique.

La première étape est réalisable immédiatement : il s’agit d’effectuer des prélèvements d’eau dans le piézomètre du site (P1) et de procéder à des analyses de précision, détaillées par radionucléide. Si la pollution de la nappe est confirmée, il faudra alors procéder à une étude complète permettant de définir l’extension spatiale de l’impact et les voies de transferts (puits perdus, infiltrations accidentelles, migration à partir des dépôts superficiels, etc).

3. Modifier le contenu de l’auto-contrôle prescrit à l’exploitant

Les arrêtés préfectoraux qui régissent le fonctionnement de l’installation n’exigent qu’un dosage global de l’uranium sans recherche d’autres radionucléides, ni détermination du cocktail isotopique. Il est indispensable que l’exploitant ait les moyens de contrôler la nature de ses rejets (uranium de retraitement, naturel, appauvri, etc).

4. Revoir à la baisse les autorisations de rejet

Les autorisations de rejets accordés à l’exploitant en 1993 se réfèrent à des textes réglementaires fondés sur des limites fondamentales de dose qui ont depuis lors été révisées : de 5 mSv/an à 1 mSv/an pour la population. Par ailleurs, ces limites tiennent compte de l’ensemble des expositions à toutes les sources industrielles de rayonnements ionisants. Pour les rejets d’une seule installation, la CIPR précise clairement que la contrainte de dose est, selon les cas, de 0,1 mSv/an ou de 0,3 mSv/an.
Les calculs effectués en 1993 ayant en outre pris en compte la forme physico-chimique la moins contraignante pour l’exploitant (et la plus pénalisante pour l’environnement et les populations), il est indispensable de réexaminer le dossier.
Les possibilités techniques permettent pour les effluents tant liquides que gazeux de meilleurs taux de décontamination
: pourquoi accepter, par exemple, une filtration à 85 % alors qu’existent des filtres de très haute efficacité ?

5. Contre-expertiser l’étude d’impact sanitaire des rejets de la SICN.

On ne peut que regretter la réalisation d’une telle étude en 2001, alors que les rejets de polluants ont commencé en 1957 (voire même en 1955) et que la SICN a d’ores et déjà fortement diminué ses activités liées à l’uranium. Il reste cependant positif que l’Administration se soucie d’évaluer l’impact du fonctionnement de l’installation et utilise les moyens réglementaires mis désormais à sa disposition.
La CRIIRAD est par contre opposée au fait que la réalisation d’une telle étude soit confiée à l’exploitant, à charge pour lui de s’attacher les services d’un organisme qualifié. En l’occurrence son choix s’est porté sur la Société Française des Risques Majeurs (16).
Nous considérons que le principe du pollueur payeur, peut être appliqué sans que l’exploitant ne devienne le commanditaire de l’organisme chargé de l’expertise.
Compte tenu des enjeux sanitaires, environnementaux, économiques, voire juridiques d’un tel dossier, il convient d’éviter tout conflit d’intérêt. Il s’agit d’une question de principe : les évaluations sanitaires officielles devraient être réalisées par les services de radioprotection de l’Etat ou, à défaut, faire l’objet d’expertises contradictoires (experts de l’industriel contre experts des riverains par exemple).
Les populations concernées devront exiger la publication de l’étude (dans son exhaustivité et pas seulement les conclusions) afin que toutes les évaluations effectuées par les experts, choisis par la SICN, puissent être vérifiées par des scientifiques indépendants.

6 . Étudier l’impact des rejets liés à l’utilisation médicale des substances radioactives.

 

PS. La CRIIRAD tient à remercier les responsables de la DRIRE des Deux Savoie pour la mise à disposition très rapide des documents et informations demandées. Cette attitude reste encore minoritaire, la transparence se déclinant plus facilement dans les discours que dans les faits.

 

 

(16) La CRIIRAD travaille depuis 15 ans sur les questions de radioprotection et n’a jamais eu connaissance des travaux et expertises effectués en la matière par cet organisme.

 

 


 Communiqué
SICN
 Rapport d’étude