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  • 24/05/2023 – Informations non étayées sur un « nuage radioactif » suite au bombardement dans la région de Khmelnytskyi (Ukraine)

24/05/2023 – Informations non étayées sur un « nuage radioactif » suite au bombardement dans la région de Khmelnytskyi (Ukraine)

Beaucoup de désinformation circule sur internet et les réseaux sociaux sur une supposée pollution radioactive qui aurait touché une partie de l’Europe de l’Est (notamment la Pologne) suite à des bombardements sur un dépôt de munitions d’une base militaire à proximité de la ville de Khmelnytskyi en Ukraine.
La CRIIRAD a mis en ligne à ce propos le 17 mai dernier une note d’information sur la page dédiée à la situation radiologique en Ukraine depuis le début du conflit : https://balises.criirad.org/actu_guerre_Ukraine_2022.html. Une seconde note a été adressée aux adhérents de la CRIIRAD le 22 mai, le présent document en constitue une version mise à jour.

Les mesures de radioactivité aux environs de Khmelnytskyi ne sont pas anormales

Dans les heures et les jours qui ont suivi l’explosion, la CRIIRAD a notamment vérifié les mesures de débit de dose gamma fournies par les capteurs de surveillance situés autour de la zone considérée. Peu après l’explosion, les vents étaient orientés en direction de l’ouest puis du nord. Aucune augmentation réellement significative n’a été enregistrée par les 8 capteurs situés dans un rayon de 50 kilomètres autour de la zone sauf pour un capteur situé à 12 kilomètres au sud-est du site.

Mais cette augmentation (de l’ordre de 40 %) est survenue le 11 mai, bien avant l’explosion et en une station qui n’était pas située sous les vents dominants. L’hypothèse d’un lien avec l’explosion était donc douteuse. Interrogé par la CRIIRAD, le service Hydrométéorologique Ukrainien indiquait le 17 mai que ces variations pouvaient être liées à des phénomènes naturels dont des séismes. Nous écrivions le 17 mai: « Cependant pour ce capteur, la tendance à une augmentation est constatée sur plusieurs jours d’affilée, ce qui pose question. Habituellement les variations liées au radon sont de plus courte durée en effet. Pour conclure, il faudrait pouvoir disposer de résultats complets comportant des analyses radiologiques et chimiques précises portant sur les poussières dans l’air ambiant, le couvert végétal ou encore le sol. C’est indispensable s’il s’agit de se prononcer sur l’hypothèse de la dispersion dans l’environnement de poussières d’uranium appauvri, ou d’autres matériaux toxiques susceptibles d’être mis en suspension en cas d’explosion de dépôts de munitions ».

Interrogé à nouveau le 23 mai, le service Hydrométéorologique Ukrainien a indiqué à la CRIIRAD, par courriel en date du 24 mai, que les vérifications effectuées depuis lui permettent d’établir que les différences de résultats à partir du 11 mai sont liées à un changement du type de dosimètre à cette date. Cette explication nous parait cohérente pour expliquer les résultats obtenus.

Les mesures de radioactivité en Pologne ne sont pas anormales

D’après les données consultables sur la plateforme du réseau EURDEP1, des stations en Pologne ont enregistré par exemple le 15 mai des augmentations ponctuelles du débit de dose gamma, de quelques dizaines de nanosieverts par heure. Certains ont fait un lien avec le bombardement du 13 mai.
D’après l’université Marie Curie-Skłodowska University de Lublin2, pour ce qui concerne la station située dans cette ville, les pics sont survenus pendant des périodes de précipitations et sont dus au lessivage des descendants du radon 222 (dont le bismuth 214, émetteur gamma).
Des épisodes similaires d’augmentation ponctuelle du niveau de débit de dose gamma ambiant sont fréquemment observés sur le réseau de sondes gamma géré par la CRIIRAD dans le quart sud-est de la France et à Genève et sont liés au lessivage du plomb et du bismuth 214 naturels en suspension dans l’air ambiant.
L’exemple ci-dessous présente l’augmentation mesurée par la sonde gamma de Grenoble lors des précipitations du 7 juin 2021 : pic du débit de dose gamma à 122 nSv/h à 23h, heure à laquelle (d’après le site meteox.com), le radar enregistrait un épisode de pluies sur la région grenobloise.


Par ailleurs, la CRIIRAD a rappelé3 que, contrairement aux affirmations de certains, le bismuth 214 n’est pas associé à l’uranium appauvri mais à l’uranium naturel. Le bismuth 214 est un descendant du radon 222 et du radium 226 or ils sont séparés de l’uranium lorsqu’est produit l’uranium appauvri.

Les mesures de radioactivité en Allemagne ne sont pas anormales

Interrogé par la CRIIRAD le 23 mai, un responsable du BFS Allemand a confirmé également le 24 mai par courriel n’avoir détecté pour l’instant aucune trace d’isotopes de l’uranium qui auraient pu être rejetés en Ukraine. Des analyses plus fines sont en cours sur certains filtres pour une levée de doute définitive.

Et en France ?

En ce qui concerne le territoire français, les différents capteurs que gère le laboratoire de la CRIIRAD dans la vallée du Rhône (de Genève en Avignon), n’ont révélé à ce jour aucune anomalie dans le cadre des mesures directes en continu. Une analyse plus précise sur filtre aérosols est programmée prochainement4.


Rédaction : Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire, directeur du laboratoire de la CRIIRAD (bruno.chareyron@criirad.org), Jérémie Motte, ingénieur environnement, responsable du service balise (jeremie.motte@criirad.org) et Julien Syren, ingénieur géologue, responsable du service radon (julien.syren@criirad.org).


1 https://remap.jrc.ec.europa.eu
2 https://www.umcs.pl/pl/aktualnosci,57,wzrost-natezenia-promieniowania-wyjasnienie,132698.chtm#page-1
3
https://www.tf1info.fr/international/guerre-en-ukraine-apres-la-destruction-d-un-depot-de-munitions-a-khmelnitsky-unnuage-radioactif-se-dirige-t-il-vers-l-europe-2257906.html et https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/05/24/guerre-en-ukraine-le-nuage-radioactif-de-khmelnitski-nouvel-enfumage-du-kremlin_6174662_4355770.html
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4 Mise à jour du 02/06/2023 : Le filtre de la balise de Valence correspondant à la période d’exposition du 24 avril au 25 mai 2023 a fait l’objet d’un comptage par spectrométrie gamma HpGe au laboratoire de la CRIIRAD le 25 mai 2023. L’activité de l’uranium 238 (U 238), estimée à partir de son premier descendant, le thorium 234 (Th 234), est restée inférieure à la limite de détection (< 0,066 mBq/m3).