09/10/2025 – Crevettes radioactives : une grave contamination en Indonésie révélée par une alerte lancée aux États-Unis

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Aux États-Unis, du césium radioactif a été détecté dans des crevettes et des clous de girofle importés d’Indonésie. Une aciérie proche de Jakarta est à l’origine de la contamination des crevettes. Dans les environs de l’aciérie, la contamination est massive et la situation sanitaire est préoccupante. L’arrivée en Europe de cargaisons contaminées reste à déterminer.

Des crevettes contaminées aux USA

En août 2025, la Food and Drug Administration (FDA) annonce la détection de césium 137 sur des conteneurs de crevettes exportés aux USA par la société indonésienne Bahari Makmur Sekati (BMS), dans les ports américains de Los Angeles, Houston, Savannah et Miami (1). L’entrée sur le territoire est interdite mais le mal est fait : au fil des semaines, les rappels de produits concernent de plus en plus de marques et d’Etats américains. En septembre, du césium 137 est également détecté dans des clous de girofle provenant d’une autre société indonésienne, Natural Java Spice (NJS).

Une aciérie indonésienne incriminée

Fin septembre, le gouvernement indonésien révèle l’origine de cette contamination (2) : un fabricant d’acier à partir de ferrailles, Peter Metal Technology (PTM). L’usine se trouve dans la zone industrielle Modern Cikande, sur l’Île de Java, à 50 kilomètres à l’ouest de Jakarta. La contamination se serait propagée par voie aérienne, notamment dans l’usine de conditionnement de crevettes BMS Foods implantée à 2,5 kilomètres au nord de l’aciérie. S’agissant des clous de girofle, le mystère reste entier, l’usine de NJS étant distante de plusieurs centaines de kilomètres de Cikande (l’entreprise possède-t-elle un entrepôt dans le secteur de PTM ? Des clous de girofle sont-ils cultivés dans les environs ? S’agit-il d’un autre foyer de contamination ?).

D’où vient la contamination ?

À ce stade, de nombreuses zones d’ombre subsistent, s’agissant notamment de l’ampleur du secteur impacté et des niveaux d’exposition.

Une hypothèse probable est la fonte accidentelle d’une source scellée de césium 137. Ce radionucléide est un émetteur de rayonnement bêta et de rayonnement gamma dangereux autant en exposition externe qu’en cas d’incorporation par ingestion ou inhalation. Il a une longue période (son activité diminue de moitié en 30 ans). Des sources de césium 137 sont notamment utilisées en médecine (radiothérapie, stérilisation de matériel médical) ou dans l’industrie (mesures de densité, de niveau, d’épaisseur, ionisation des aliments…). Des sources particulièrement intenses sont par exemple utilisées pour l’irradiation des produits sanguins (activités de l’ordre de 100 à 10 000 milliards de becquerels). Étant donné leur dangerosité, les sources de césium 137 doivent être strictement contrôlées et reprises par le fournisseur quand les équipements qui les utilisent sont mis au rebut. La fonte d’une telle source peut entraîner la contamination du four, de l’usine, des matières et déchets issus de l’installation (métaux, scories, cendres) et provoquer des rejets atmosphériques à l’origine de dépôts sur les terrains environnants.

En 1998, une source de césium 137 avait été incinérée par accident dans l’usine Acérinox d’Algésiras, au sud de l’Espagne. La présence de césium 137 avait été détectée dans l’air de plusieurs pays européens (notamment dans la vallée du Rhône par le laboratoire de la CRIIRAD). Plusieurs milliers de tonnes de déchets contaminés avaient dû être évacués.

Quelle étendue ?

Dans le cas présent, entre le site de BMS Foods d’où proviennent les crevettes contaminées et l’aciérie se trouvent des entreprises, mais également des zones résidentielles (la plus proche, comptant notamment un hôtel, une mosquée, des restaurants, est située à 200 mètres de l’aciérie) ainsi que des parcelles cultivées (les plus proches jouxtent l’aciérie).

© Cartes Google Earth

Depuis plus de 15 jours les autorités effectuent des relevés dans la zone afin de cartographier les débits de dose et d’identifier les secteurs à risque. Pour le moment 22 sites contaminés ont été localisés. Les quelques chiffres publiés dans la presse font état de niveaux d’irradiation très préoccupants (supérieurs à 100 microsieverts par heure ou µSv/h, soit plus de 1 000 fois le niveau normal). Un maximum de 1 000 µSv/h avait été annoncé par le ministère de l’environnement. Avec un tel niveau, la limite maximale d’exposition fixée pour un an est atteinte en une heure. La presse indique désormais une valeur 10 fois supérieure (10 000 µSv/h) dans un secteur de terrains vagues et de cabanes. Les autorités ont d’ailleurs décidé de reloger une partie des habitants.

Autre signe de l’importance de la contamination : 9 travailleurs ont été hospitalisés et auraient été traités avec du bleu de Prusse. Ce produit, utilisé pour accélérer l’élimination du césium par l’organisme, est habituellement réservé aux cas de fortes contaminations. Il est évident que bien plus de personnes ont été exposées par irradiation externe et interne, mais à des niveaux plus faibles.

Dispersion de déchets ou métaux radioactifs ?

Pour le moment aucune information n’a filtré quant au devenir des produits et déchets issus de l’aciérie entre la date de l’accident (antérieure à début août) et la découverte de la contamination (en septembre).

En 2008, la CRIRAD alertait sur la présence de cobalt 60, un autre élément radioactif artificiel, dans des boutons équipant plusieurs centaines d’ascenseurs en France (3). A l’origine de cette contamination, une source de cobalt 60 fondue accidentellement dans une aciérie indienne.

La CRIIRAD milite depuis longtemps pour la généralisation des portiques de détection de radioactivité permettant de repérer une telle contamination le plus en amont possible. Du chemin reste à parcourir : l’Indonésie vient d’annoncer qu’elle allait se doter de tels portiques et qu’elle stoppait les importations de ferrailles en attendant.

Des mesures prises aux USA… Quid de l’Europe ?

S’agissant des denrées alimentaires, il convient de saluer la position de la FDA, qui a rapidement bloqué les conteneurs détectés, lancé des rappels et mis en place une liste d’alerte à l’importation, permettant aux autorités frontalières de bloquer les futures expéditions, à moins que les entreprises ne prouvent que leurs produits soient exempts de contamination. En effet, hors accident nucléaire majeur, l’absence de contamination doit rester la norme. Mais qu’en est-il de l’Europe ? Est-elle concernée par les exportations des deux sociétés incriminées ? Des denrées contaminées ont-elles également été détectées ? Les autorités ont-elles pris les mêmes précautions qu’aux USA ? La CRIIRAD a interrogé l’Autorité de Sûreté Nucléaire et de Radioprotection (ASNR) à ce sujet.

Rédaction : Julien Syren •


Notes :

[1] https://www.fda.gov/food/alerts-advisories-safety-information/fda-advises-public-not-eat-sell-or-serve-certain-imported-frozen-shrimp-indonesian-firm

[2] https://en.antaranews.com/news/383433/indonesia-confirms-radioactive-cs-137-in-shrimp-linked-to-steel-plant

[3] https://www.criirad.org/wp-content/uploads/2017/08/controles_defaillants2.pdf


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