04/06/2025 – Un exercice à chaud qui fait froid dans le dos > L’analyse de la CRIIRAD

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Impossible gestion de crise sur le réacteur en démantèlement de Chooz

À Chooz (Grand Est), il y a 2 réacteurs nucléaires en fonctionnement (Chooz B 1 et 2) et un autre, sous terre, en démantèlement (Chooz A) (1). Mis en service en 1967, ce dernier a fonctionné 24 ans. L’autorisation de le démanteler a été accordée à EDF en 2007 mais il reste des équipements et des locaux contaminés par la radioactivité (2). La cuve du réacteur est encore en place et des chantiers en zones contrôlées (3) sont toujours en cours. De nombreux travailleurs ont d’ailleurs été contaminés lors de ces activités (4), les risques n’ayant pas été correctement appréhendés par EDF.
Tant que le démantèlement n’est pas achevé, l’exploitant doit avoir un plan d’urgence interne (PUI)
(5) à déclencher en cas de situation de crise, comme par exemple un incendie en zone contrôlée. Ce plan doit prévoir le matériel (adapté), le personnel (formé et entrainé) et une organisation qui permettent de gérer la situation. Pour être efficace, ce plan doit tenir compte des spécificités de l’installation comme la nature et la quantité des matières dangereuses et radioactives, les cheminements possibles en fonction des chantiers en cours, le fait que les bâtiments soient enterrés, etc.

Une inspection surprise de l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) a eu lieu les 7 et 8 avril 2025 sur le réacteur en démantèlement de Chooz (6). Lors de celle-ci, conduite en dehors des heures ouvrées, les inspecteurs ont demandé qu’un exercice grandeur nature soit réalisé : ils ont simulé un appel de témoin signalant un départ de feu dans une zone contrôlée (la caverne combustible). Le but était d’observer l’organisation mise en œuvre pour répondre à une situation d’urgence : levée de doute et confirmation de l’incendie, premières interventions d’extinction, déclenchement du Plan d’urgence interne volet sûreté radiologique (PUI SR), alertes des personnels d’astreintes, des autorités, des pompiers, etc.
Le constat de l’ASNR a été sans appel : « l’organisation mise en œuvre (…) n’est pas satisfaisante » (7). L’exercice a démontré que le site de Chooz n’était pas à même de gérer une situation d’urgence sur le réacteur en démantèlement. Malgré un scénario plausible étant donné les charges calorifiques présentes dans l’installation. Malgré les enjeux de sûreté et de radioprotection pour les intervenants, les populations et l’environnement. Malgré des obligations légales (8) et des constats antérieurs qui pointaient déjà des défaillances dans la gestion du risque incendie 9.

Matériels inadaptés et temps de réaction trop long

Les intervenants envoyés pour confirmer le feu et potentiellement entamer les premières actions d’extinction n’ont jamais pu arriver à la zone en question (la caverne combustible), leurs équipements ne le leur permettaient pas. Ils n’avaient qu’une réserve limitée en air (25 minutes) sans possibilité de recharge, et une ligne de vie (permettant de progresser en zone enfumée) bien trop courte (25 mètres, 50 maximum). Ils ont dû s’arrêter à 350 mètres de la caverne. Les inspecteurs se sont par ailleurs interrogés sur la stratégie utilisée, compte tenu de la spécificité du bâtiment (enterré) (10).
Le plan d’urgence interne n’a été déclenché qu’au bout de 50 minutes alors que le temps maximal d’analyse de la situation est limité à 30. Passé ce délai, si le doute persiste, le PUI doit être déclenché. Ces 20 minutes supplémentaires ont retardé d’autant les alertes (préfecture, ASNR, personnel d’astreinte local et national, secours extérieurs). Qui plus est, faute de connaître la procédure, la personne chargée de lancer l’alerte n’a pas contacté les salariés du site qui étaient d’astreinte mais rentrés à leurs domiciles (l’exercice s’est déroulé en dehors des heures ouvrées).

Une organisation qui ne tient pas compte de Chooz A

Il s’est avéré impossible de déclencher le PUI sur le réacteur en démantèlement (Chooz A) : la consigne, le système informatique et les messages d’alerte ne proposaient pas cette option. Ils n’ont été prévus que pour les 2 réacteurs en fonctionnement (Chooz B). Durant l’exercice, le directeur de crise n’a pas eu d’autre choix que de déclencher le plan d’urgence interne sur un réacteur qui n’était pas le bon. De surcroit, il a aussi informé l’ASNR par message audio que l’installation concernée était le réacteur 1 de Chooz B et non Chooz A.
Le système en place rendait également impossible la transmission d’éléments relatifs à l’état du réacteur en démantèlement (11). L’exploitant doit communiquer à l’ASNR 12 types de messages préenregistrés, mais aucune trame n’intégrait Chooz A. De plus, les personnes chargées de rédiger ces messages étaient au local technique de crise et en salle de conduite de Chooz B1, des locaux dans lesquels il n’existe aucune remontée d’informations sur l’état de Chooz A (hormis l’alarme incendie et celle indiquant une montée de radioactivité en bordure du site).

Le personnel adéquat non mobilisable

Le personnel d’astreinte appelé en cas de déclenchement de PUI et formé à ce type d’intervention était exclusivement du personnel des réacteurs en fonctionnement. Il existe bien du personnel d’astreinte au sein des équipes de Chooz A, mais aucun n’est intégré au plan d’urgence interne. Ils ne sont donc pas tenus d’être disponibles ni informés en cas de déclenchement du PUI, auquel ils ne sont d’ailleurs ni formés ni entrainés. Un problème fondamental, car ce sont ces personnes qui détiennent les informations nécessaires à une gestion correcte de la situation. Les équipiers chargés de gérer l’incendie en zone contrôlée de Chooz A n’avaient que des connaissances parcellaires sur l’état de l’installation, les chantiers en cours, les matières radioactives présentes, les voies d’accès praticables, etc. Les inspecteurs de l’ASNR précisent d’ailleurs dans leur rapport que « les personnes rencontrées au cours de l’inspection ont toutes reconnu que seuls les personnels d’astreinte du réacteur en démantèlement étaient en mesure d’identifier et de transmettre les informations essentielles à la compréhension de la situation en cas d’évènement sur cette installation » (12).

Des informations cruciales inaccessibles

Non seulement le personnel disposant des informations essentielles n’était pas présent, non seulement le centre de gestion de crise n’a pas de remontées d’informations sur l’état de Chooz A mais qui plus est, l’inventaire radiologique du réacteur en démantèlement n’était pas connu et pas accessible. Personne durant l’exercice n’avait d’information fiable sur la nature, la quantité et la localisation des substances radioactives présentes dans le bâtiment. L’employé de la direction de Chooz A censé en avoir connaissance n’est pas appelé en cas de PUI. Et le seul endroit où ces informations sont consignées est sur place, par des affiches accolées aux locaux. Difficile d’aller les consulter en cas d’incendie dans la zone… L’organisation existante rend donc ces informations indisponibles. Sans connaître l’inventaire radiologique, comment estimer la nature et l’importance des rejets dans l’environnement ? Comment prévenir les risques associés et sécuriser l’intervention des secours ? Comment faire un pronostic de l’évolution de la situation, établir des recommandations de protection de la population, de l’environnement et des biens ? Plus largement, comment un exploitant nucléaire peut-il gérer efficacement un accident s’il ne connait pas la nature, la quantité et la localisation des substances radioactives présentes dans son installation ?

Matériels et stratégie inadaptés, procédure d’alerte mal connue, incapacité de déclencher le PUI pour ce réacteur, informations non accessibles et non transmissibles, personnel adéquat non impliqué, … L’exercice de crise déployé lors de l’inspection de l’ASNR d’avril 2025 a démontré que l’organisation d’EDF ne permettait pas de gérer correctement une situation d’urgence qui surviendrait sur le réacteur en démantèlement de Chooz. Pourtant, les chantiers s’y succèdent depuis 15 ans. Comme si l’exploitant nucléaire n’avait pas envisagé qu’une situation d’urgence puisse arriver. Comme pour le risque de contamination interne des travailleurs qui a été largement sous-estimé lors des chantiers menés l’année passée ?
Si le démantèlement implique de fait une réduction des quantités de matières radioactives présentes dans les installations nucléaires, les activités qui y sont associées génèrent inévitablement des risques supplémentaires (du fait notamment des modifications régulières des équipements et des évolutions des conditions d’interventions). Sans penser ces risques, sans les évaluer et les prévenir correctement, sans tenir compte des spécificités de l’installation et des activités qui s’y déroulent, comment EDF peut-il protéger ses intervenants et mettre en œuvre une réelle radioprotection des populations et de l’environnement ?

Rédaction : L. Barthélemy •


Notes :

  1. Le réacteur Chooz A est le prototype des modèles actuellement en fonctionnement en France (réacteur à eau pressurisée). Il avait une puissance de 305 MWe, contre 900 MWe pour les réacteurs les moins puissants du parc nucléaire. Source : ASNR ↩︎
  2. En 2024, les opérations de démantèlement des matériels encore présents dans le bâtiment ont été poursuivies, tout comme celles préalables au levage de la cuve, dont le pompage du fond de la cuve et la découpe des tuyauteries du circuit primaire. La levée de la cuve est prévue pour 2025. Rapport sur la sûreté et la radioprotection en France en 2024, p. 59 et 60 ↩︎
  3. Zone dont l’accès et le séjour sont soumis à une réglementation spécifique à des fins de protection contre les rayonnements ionisants et de confinement de radioactivité. Source : ASN ↩︎
  4. L’appréciation 2024 de l’ASNR stipule que « l’année 2024 a été marquée par un nombre important de contaminations internes, en particulier sur le chantier de découpe des tuyauteries du circuit primaire, à risque de contamination par des particules « alpha ». Les mesures spécifiques mises en œuvre sur ce chantier particulier n’ont pas permis d’atteindre le niveau de protection visé. Il est attendu de l’exploitant qu’il définisse et mette en place des dispositions renforcées pour les prochains chantiers présentant le même type de risque. » ↩︎
  5. Le plan d’urgence interne (PUI) est établi et mis en œuvre par l’industriel responsable d’une installation nucléaire. Le PUI a pour objet d’une part de protéger le personnel travaillant sur le site nucléaire en cas d’incident ou d’accident, et d’autre part de limiter au maximum les conséquences de l’accident à l’extérieur du site nucléaire. Source : ASNR ↩︎
  6. Inspection INSSN-CHA-2025-0318 ↩︎
  7. Rapport de l’inspection INSSN-CHA-2025-0318, p.2 ↩︎
  8. Notamment la décision n°2014-DC-0417 relatives aux règles applicables aux installations nucléaires de base pour la maîtrise des risques liés à l’incendie, la décision n°2017-DC-0592 relative aux obligations des exploitants d’installations nucléaires de base en matière de préparation et de gestion des situations d’urgence et au contenu du plan d’urgence interne nucléaires et l’arrêté du 7 février 2012 fixant les règles générales relatives aux installations nucléaires de base. ↩︎
  9. Inspection INSSN-CHA-2024-0296 du 13 novembre 2024 et Rapport sur la sûreté et la radioprotection en France en 2024, p. 60 ↩︎
  10. Rapport de l’inspection INSSN-CHA-2025-0318, p.3 ↩︎
  11. La réglementation impose que l’exploitant nucléaire, lors du déclenchement d’un plan d’urgence interne, transmette dans les meilleurs délais à l’ASNR les informations pertinentes relatives à l’état de l’installation, l’estimation des quantités de substances radioactives ou dangereuses, au diagnostic et au pronostic de la situation, à l’estimation et la prévision de la nature et de l’importance des rejets, à la radioactivité dans l’installation et l’environnement (Article 6.11 de la décision n°2017-DC-0592 du 13 juin 2017 relative aux obligations des exploitants d’installations nucléaires de base en matière de préparation et de gestion des situations d’urgence et au contenu du plan d’urgence interne nucléaires) ↩︎
  12. Rapport de l’inspection INSSN-CHA-2025-0318, p.5 ↩︎

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