L’Autorité de sûreté nucléaire
(ASN) vient d’informer les médias de la mise en demeure
qu’elle a adressée le 13 novembre 2008 au directeur de la
centrale EDF de Cruas-Meysse.
La CRIIRAD a pris connaissance des documents de l’ASN et publie ci-dessous
un premier niveau de réaction. Une analyse en profondeur nécessite
plus de temps pour obtenir les documents et informations nécessaires
auprès de l’exploitant et des autorités.
Les dysfonctionnements mis en évidence à Cruas-Meysse sont
présentés par l’Autorité de Sûreté Nucléaire – autorité en
charge du contrôle des installations nucléaires – comme
particulièrement graves.
Selon l’ASN, ils concernent en effet un « risque d’explosion » susceptible,
en outre, « d’endommager des éléments essentiels
au maintien de la sûreté ou de conduire à une rupture
du confinement ». La mise en demeure publiée par l’ASN
signale des canalisations mal entretenues, oxydées et corrodées
alors qu’elles servent au transport des fluides explosifs, dénonce
l’absence de contrôles périodiques permettant de vérifier
leur état et d’identifier les défauts d’étanchéité,
précise que ces canalisations ne figurent pas sur les plans mis à disposition
des services d’incendie (1) … Tout ceci en violation d’une
réglementation datant de 1999 (2).
Dans ces conditions,
1. Comment se fait-il que l’ASN ait accordé, en 1999, un délai
de 6 ans ( !?) à EDF pour se mettre en conformité avec les
prescriptions de cet arrêté ?
2. Comment se fait-il qu’à l’issue d’un délai
aussi long, l’ASN se soit apparemment contentée d’un
courrier d’EDF indiquant qu’à une exception près
(mais qui ne concernait pas le risque d’explosion) l’ensemble
des actions de mise en conformité étaient réalisées
et qu’elle ait encore attendu 2 ans et 7 mois pour effectuer une
inspection destinée à vérifier si les déclarations
d’EDF étaient étayées et la mise en conformité effective
?
3. Comment se fait-il que l’inspection des 25 et 26 septembre n’ait
pas donné lieu à injonction, qu’il ait fallu une seconde
inspection le 24 octobre, puis encore 3 semaines pour qu’une mise
en demeure soit adressée à l’exploitant, soit au total
un délai supplémentaire d’un mois et demi ?
4. Et comment se fait-il que la mise en demeure du 13 novembre accorde
encore à EDF un délai de 3 mois pour se mettre en conformité… avec
des prescriptions qui datent de 1999 ?
5. Et comment se fait-il que l’obligation de veiller à l’étanchéité de
canalisations transportant des matières radioactives, corrosives,
inflammables ou explosives ne date que de 1999 ? Est-ce que cette obligation
n’existait pas dès la mise en service des 4 réacteurs
de Cruas-Meysse en 1984 – 1985 ? Si elle existait, cela veut dire
qu’EDF fonctionne depuis plus de 23 ans sans contrôler correctement
ce paramètre clef et sans que les autorités de contrôle
ne s’en émeuvent. Si ce n’est pas le cas et qu’il
a fallu attendre 1999, soit 15 ans après le démarrage, pour
que ces contrôles basiques mais essentiels soient obligatoires, c’est
véritablement scandaleux. On ne sait laquelle de ces 2 options est
la plus préoccupante.
Une fois encore, les constats de terrain laissent entrevoir un fonctionnement
du parc électronucléaire français très éloigné des
discours publicitaires des exploitants et d’une technologie « high
tech » soumise à des contrôles draconiens : des canalisations
corrodées, des défauts de surveillance et de signalisation… on
ne peut que s’interroger sur le sens qu’a l’exploitant
de ses responsabilités. Comment se fait-il qu’il néglige
des contrôles aussi déterminants pour la sûreté de
son installation ?
De toute évidence, au moins 3 autres centrales nucléaires
sont concernées : Le Blayais en Gironde, Civaux dans la
Vienne et Golfech en Tarn-et-Garonne. Pour les autres installations nucléaires,
on est dans l’expectative : sont-elles absentes de la liste car le
risque « explosion » y est correctement géré … ou
parce que leur conformité aux prescriptions de 1999 n’a pas
encore été contrôlée ?
Compte tenu des conséquences majeures d’un accident nucléaire,
avant tout sur le plan sanitaire mais également environnemental,
agricole, touristique et économique, des dysfonctionnements aussi
graves devraient faire l’objet d’une enquête approfondie
portant sur la gestion de l’exploitant mais également sur
la fiabilité de l’encadrement réglementaire. Il faudrait
s’interroger sur la place centrale accordée à l’auto-surveillance,
sur les passerelles aménagées entre exploitants d’activités à risques
et contrôleurs, sur les arbitrages entre rentabilité et sûreté ...
Malheureusement, la loi du 13 juin 2006 a organisé la quasi impunité de
l’ASN. Quant à l’exploitant, les délais successifs
de mise en conformité en disent long sur la « rigueur » des
contrôles auxquels il est soumis. La loi a par ailleurs strictement
limité, et depuis longtemps, sa responsabilité en cas d’accident.
C’est la population qui en supportera, et sur tous les plans, les
conséquences. Elle a donc intérêt à être
exigeante et à demander des comptes sur la façon dont les
activités nucléaires sont gérées et contrôlées.
(1) Des incendies se produisent régulièrement sur les sites
nucléaires. Le fait que les services de secours ignorent la localisation
de canalisations susceptibles d’exploser et d’aggraver considérablement
la situation, laisse présager le pire en cas de problème.
Il s’agit pourtant là du B. A. BA de la gestion des sites à risque.
(2) Arrêté du 31 décembre 1999 fixant la réglementation
technique générale destinée à prévenir
et limiter les nuisances et les risques externes de l’exploitation
des installations nucléaires de base.
En
savoir plus : http://www.asn.fr/sections/dernieres_actus/asn-met-edf-en-demeure-mettre-en |