Au cours des dernières 24 heures, la CRIIRAD a reçu
de très nombreuses demandes relatives à la fuite survenue
sur le circuit primaire de la centrale nucléaire de Krsko,
en Slovénie.
Les questions portaient notamment sur les risques encourus en France
et sur l’opportunité de prendre des mesures de protection
(et notamment de prendre de façon préventive des comprimées
d’iode stable).
L’analyse des résultats des réseaux de balises
de contrôle en continu de la radioactivité de l’air
a permis de donner des informations rassurantes : ni les balises
que gère le laboratoire de la CRIIRAD dans le quart sud-est
de la France, ni celles des réseaux officiels implantés
dans différents pays européens n’ont signalé une
augmentation anormale de la radioactivité de l’air :
la prise d’iode stable n’est pas du tout justifiée.
Il faut toutefois préciser que le réseau de balises
qui couvre la Slovénie ne comporte que des sondes gamma qui
ne permettent pas de contrôler la radioactivité de l’air.
A consulter sur : http://www.ursjv.gov.si/en/monitoring/mzo/.
En revanche, l’analyse des informations diffusées par
les services officiels – que ce soit aux niveaux slovène,
européen ou français – révèlent
de nombreux dysfonctionnements.
Par ailleurs, le déclenchement de la procédure d’alerte
a été marquée par différents « bugs » (notamment
la confusion entre les exercices et la réalité).
Au-delà de l’analyse précise des évènements – analyse
qui reste à faire – une chose est certaine : les
autorités nucléaires ont désormais totalement
intégré le fait que l’accident nucléaire
grave peut survenir à tout moment et elles s’y attendent.
C’est ce qui explique leur fébrilité dans la
gestion du problème.
Analyse
préliminaire
de la CRIIRAD
(version du jeudi 5 juin 2008 – 19h00)
Plusieurs
communiqués ont été publiés
depuis hier, par les autorités slovènes, la Commission
européenne et l’Autorité de sûreté nucléaire
française (ASN) concernant la fuite survenue sur le circuit
primaire de la centrale nucléaire de Krsko, en Slovénie.
L’analyse de leur contenu est consternante. Vingt-deux ans
après la catastrophe de Tchernobyl, il reste encore beaucoup à faire
en matière d’information.
Une fuite sur le circuit primaire peut être très grave
car le cœur du réacteur doit être refroidi en permanence
afin de maintenir la température à des niveaux compatibles
avec la tenue des matériaux. Afin d’apprécier
la gravité de ce qui s’est produit à Krsko, il
est nécessaire de disposer d’un certain nombre d’informations.
Aucune d’elle n’a été diffusée ni
par les autorités slovènes, ni par la Commission européenne,
ni par l’Autorité de sûreté nucléaire
française. Le caractère totalement lacunaire et ininterprétable
des informations disponibles n’a été mentionné par
aucun responsable.
Aucune précision sur les circonstances de la détection
de la fuite (suite à une alarme qui a bien fonctionné ou
de façon fortuite parce que les opérateurs ont eu de
la chance ?) ; aucune précision sur la quantité d’eau
radioactive qui s’est échappée du circuit primaire – information
pourtant essentielle – ni sur le délai entre le moment
où la fuite s’est produite et celui où elle a été découverte
(2,4 m3/h pendant 2 heures ce n’est pas beaucoup, pendant une
semaine c’est très différent) ; aucune information
sur la nature de la perte de confinement (fissure sans risque d’aggravation,
sous contrôle, ou risque d’évolution, voire de
rupture avec perte massive de liquide) ; aucune précision
ni sur la nature, ni sur l’activité des radionucléides
présents (ou plutôt des affirmations erronées
sur l’absence de contamination de l’eau du circuit primaire :
le réacteur de Krsko serait ainsi le seul réacteur
au monde à avoir empêché tout phénomène
d’activation de l’eau et des produits de corrosions,
toute diffusion de tritium à partir du combustible, toute
microfissure au niveau des gaines de combustibles, etc). Le circuit
primaire étant réputé non contaminé,
aucune information n’a été évidemment
donnée sur les caractéristiques radiologiques de l’eau,
ni sur les éventuels rejets radioactifs gazeux (phénomènes
de dégazage). Précisons que, contrairement à ce
qu’ont affirmé certains articles, l’eau du circuit
primaire n’est pas confinée dans la cuve du réacteur
(ni les pompes ni les générateurs de vapeur ne s’y
trouvent) et que le bâtiment réacteur (où se
trouve le circuit primaire) n’est pas un espace confiné puisqu’il
est équipé de systèmes de renouvellement d’air
et de cheminées de rejets.
Le protocole d’information ou d’alerte devrait imposer
la transmission d’informations interprétables. Evidemment,
des diagnostics approfondis prennent du temps mais il y a un minimum
en deçà duquel on n’est plus dans le domaine
de l’information. La fuite est-elle ou non localisée ?
Sa nature est-elle ou non identifiée ? L’évolution
est-elle ou non sous contrôle ? Etc. Autant d’éléments
d’informations de base. Vingt-quatre heures après l’alerte
on n’a toujours aucune information sur les caractéristiques
radiologiques de l’eau qui s’est échappée
du circuit primaire. Des informations plus précises commencent à circuler
mais en dehors des systèmes officiels sans que l’on
puisse en vérifier la validité. L’absence
d’informations
fiables est susceptible de conduire à des alertes injustifiées
ou, plus grave, à l’absence d’alerte alors que
la situation le justifie.
En 1986, en France, les services officiels (SCPRI) affirmaient qu’aucune élévation
significative de la radioactivité de l’air ne s’était
produite et diffusaient des chiffres sous-évaluant d’un
facteur 100 à 1000 la réalité des dépôts
radioactifs (et par conséquent les risques liés à la
consommation des produits sensibles). Sur la base de ces informations
erronées, le ministère de l’Agriculture concluait
que le territoire français avait été totalement épargné par
les retombées radioactives.
Aujourd’hui, on est encore confronté à la dissimulation
des informations nécessaires à l’évaluation
de l’incident et à la diffusion d’informations
erronées : des représentants des autorités
slovènes affirment par exemple que l’eau du circuit
primaire est totalement dépourvue de contamination.
A cela s’ajoutent les dysfonctionnements dans le système
d’alerte (signalement d’un exercice au lieu d’un
incident réel) ce qui aurait pu retarder la mise en œuvre
des contrôles ou des mesures de protection de la population
si elles avaient été nécessaires.
Il est intéressant de souligner que les Autorités de
sûreté nucléaire des pays nucléarisés
organisent régulièrement des exercices de crise et
se félicitent des résultats obtenus. De toute évidence, il reste
une grande marge de progression !
Le
résultat des balises de surveillance de l’air
implantées dans le sud-est de la France et gérées
par la CRIIRAD pour différentes collectivités locales.
La
CRIIRAD gère un réseau de 5 stations de surveillance
en continu de la radioactivité atmosphérique dans la
vallée du Rhône, à environ 850 kilomètres à l’ouest
de la centrale nucléaire de Krsko.
Cette surveillance en continu de la radioactivité de l’air
que respire la population est conduite en partenariat avec la Région
Rhône-Alpes, les départements de la Drôme et de
l’Isère, la Communauté de communes du Pays
Roussillonnais, et différentes communes dont Montélimar,
Romans et Avignon.
Les informations sont consultables à l’adresse http://balisescriirad.free.fr/
Chaque balise est constituée d'un dispositif qui aspire l'air à contrôler
par un système de pompes et le fait circuler dans plusieurs
modules de piégeage (filtre papier pour les aérosols,
cartouche à charbon actif pour les gaz et en particulier l’iode
131).
Mesures en
continu
Chaque
balise mesure en continu l’activité volumique
globale des émetteurs artificiels alpha et bêta contenus
dans les aérosols ainsi que l’activité volumique
en iode 131 des gaz.
Entre le 4 juin 2008 à 0h TU et le 5 juin 2008 à 14h
TU, aucune particule radioactive d’origine artificielle n’a été détectée
par le réseau de balises : l’activité volumique
mesurée sur les trois voies de mesure directe (alpha, bêta
et iode 131) est restée inférieure à la limite
de détection (1Bq/m3).
Analyses
complémentaires
Les
filtres et les cartouches peuvent être
prélevés
et soumis à des analyses complémentaires par spectrométrie
gamma au laboratoire CRIIRAD afin de réaliser des mesures
beaucoup plus précises (pour les analyses de routine effectuées
chaque mois par le laboratoire, la limite de détection typique
est inférieure à 0,01 mBq/m3 pour le césium
137 sur filtre et inférieure à 0,1 mBq/m3 pour l’iode
131 sur cartouche).
Des analyses de ce type seront réalisées prochainement
par le laboratoire CRIIRAD. Afin d’optimiser ce contrôle,
des investigations sont en cours afin d’évaluer, en
fonction des conditions météorologiques, la trajectoire
des éventuels rejets radioactifs de la centrale nucléaire
slovène et le délai nécessaire à leur
arrivée sur le territoire français.
Précisons que les balises gérées par la CRIIRAD
détecteraient en direct une contamination analogue ou inférieure
d’un ordre de grandeur à celle provoquée en France
par l’explosion du réacteur n°4 de la centrale de
Tchernobyl de 1986. En revanche, de faibles augmentations de la radioactivité de
l’air ne seraient pas révélées en direct
par la balise mais en différé par l’analyse des
filtres. Ainsi la contamination provoquée par l’incinération
d’une source de césium 137, en 1998, à l’aciérie
Acérinox, à Algésiras, à l’extrême
sud de l’Espagne, n’a pas été détectée
en direct par les balises de la vallée du Rhône mais
par l’analyse en laboratoire de leurs filtres (activité moyenne
en césium 137 de 0,2 à 0,3 mBq/m3 sur la période
comprise entre le 1er et le 4 juin 1998)
Balises slovènes
La CRIIRAD a consulté les résultats des balises de
contrôle implantées par l’Administration de Sûreté Nucléaire
Slovène (SNSA) autour de la centrale de Krsko. Malheureusement,
ces balises ne donnent que des résultats de débit de
dose. Aucune balise ne paraît équipée de système
de prélèvement de l’air sur filtre permettant
de renseigner sur l’évolution du niveau de radioactivité de
l’air.
Connexion du réseau de balises CRIIRAD au système
Ecurie
En tant que gestionnaire de réseaux de balises de la contamination
de l’air pour plusieurs collectivités locales françaises,
la CRIIRAD va demander à être destinataire des messages
d’information et d’alerte diffusée par la commission
européenne dans le cadre du réseau Ecurie.
L’un des objectifs sera d’obtenir que les informations
diffusées soient de nature à permettre une évaluation
du niveau de dangerosité des évènements à l’origine
de l’alerte. A quoi sert de disposer d’un réseau
européen élaboré s’il sert à diffuser
des informations lacunaires, impossible à interpréter,
voire fausses.
Il est également nécessaire de revoir les critères
de classification entre les incidents qui ne font pas l’objet
d’une alerte et ceux qui la déclenchent : la fuite
qui s’est produite sur la centrale de Krsko est le premier évènement
qui déclenche l’alerte sur Ecurie. Or, autant
que l’on
puisse en juger sur la base des informations qui commencent à circuler,
le problème survenu à Krsko n’est certainement
pas le plus grave qui se soit produit depuis 1987.
Si la Commission européenne n’exige pas la communication
d’informations à même de rendre compte du niveau
de gravité des incidents déclarés, elle s’expose
au risque d’alertes injustifiées mais aussi, plus grave, à l’absence
d’alerte en cas de nécessité. Or, en cas d’accident
nucléaire, chaque minute compte.