Lettre adressée aux Ministres en charge
de l'environnemnt et de l'industrie
mars 2000
Recours hiérarchique
préalable contre la décision de M. le Préfet
de la Manche de soumettre à enquête
publique le dossier Cogéma / La Hague.
Valence, le 28 mars 2000
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Madame Dominique VOYNET
Ministère de l'Environnement
et de l'Aménagement du territoire
20, avenue de Ségur
75007 PARIS |
Objet : recours hiérarchique préalable
contre la décision de M. le Préfet de la Manche
de soumettre à enquête publique le dossier Cogéma
/ La Hague.
Nos références : Cast - Recours/LH - DV/Env
- 0/0328
Madame la Ministre,
Nous avons l'honneur de solliciter votre intervention et
celle du secrétaire d'État à l'Industrie
en vue de l'annulation de l'enquête publique ouverte par
Monsieur le Préfet de La Manche sur la demande présentée
par la Cogéma pour la modification des décrets
d'autorisation des INB 116, 117 et 118 de son établissement
de La Hague.
Le présent recours - qui vaut recours préalable
à la saisine de la juridiction administrative - est engagé
sur la base de quatre arguments principaux :
1. Le projet présenté
par la Cogéma implique une violation des engagements pris
par la France dans le cadre de la convention OSPAR, engagements
que vous avez confirmés et renforcés en signant,
le 28 juillet 1998, au Portugal, la déclaration de Sintra.
Ces accords internationaux ont été signés
par la commission européenne, la Suisse et 12 autres États
riverains de l'Atlantique nord-est. Ils prévoient d'assurer
la protection du milieu marin par la " suppression "
ou la " réduction progressive et substantielle "
des rejets radioactifs afin de parvenir à des concentrations
proches de zéro (ou proches des niveaux naturels) à
échéance de 2020. Le projet de la Cogéma
implique au contraire une augmentation des activités
rejetées (en particulier pour le carbone 14, l'iode
129 et le tritium). Les services de votre ministère, comme
d'ailleurs l'opinion publique, ont certainement été
abusés par la construction du dossier : en articulant
ses démonstrations sur les rejets nominaux et sur les
limites fixées par les arrêtés d'autorisation
de rejet de 1984, le pétitionnaire est en effet parvenu
à focaliser l'attention sur son projet de réduire,
à moyen terme, l'impact dosimétrique de ses rejets
nominaux et à occulter ainsi l'augmentation des rejets
réels.
Or, c'est bien évidemment l'évolution des rejets
réels qui importe : selon le groupe de travail
sur les substances radioactives (OSPAR), la mise en oeuvre concrète
de la stratégie OSPAR passe ainsi par "l'établissement
de profils de réduction des rejets pour chaque installation
nucléaire jusqu'à 2020. "
Les traités internationaux prévalant en la matière
sur la réglementation française, nous considérons
que la demande présentée par la Cogéma ne
peut être instruite en l'état.
2. Cogéma annonce des rejets
nominaux de gaz radioactifs supérieurs aux limites maximales
autorisées, ce qui constitue une infraction aux dispositions
des arrêtés du 22 octobre 1980 et du 27 février
1984.
Ces arrêtés fixent une limite de 480 000
TBq/an pour les gaz autres que le tritium (essentiellement
le krypton 85 et le carbone 14). Or, Cogéma précise
que, pour cette catégorie de radionucléides, les
rejets nominaux atteignent 480 000 TBq/an pour le krypton
85 et 28 TBq/an pour le carbone 14, soit, au total, 480
028 TBq/an ce qui correspond à un rejet supérieur
à la limite réglementaire fixée pour les
gaz autres que le tritium.
Rappelons que 1 terabecquerel (TBq) est égal à
37 000 milliards de becquerels et que le surcroît
de 28 TBq/an est loin d'être négligeable :
à titre indicatif, la limite de rejets de gaz (hors tritium)
est fixée, pour la centrale nucléaire de Saint-Laurent-des-Eaux
(2 réacteurs 900 Mwe), à 37,1 TBq/an.
3. Le dossier présenté
par la Cogéma n'est pas recevable et n'aurait pas dû
être présenté à l'enquête publique.
Contrairement à l'avis rendu par les 5 experts désignés
par le directeur de la sûreté nucléaire,
il ne constitue pas une base d'information suffisante du public.
Les citoyens appelés à donner leur avis ne peuvent
le faire sur la base des documents présentés. L'information
donnée est en effet très lacunaire, parfois erronée
et, surtout, organisée de façon à occulter
les incidences réelles du projet. Le pétitionnaire
s'efforce de minimiser et parfois même de dissimuler complètement
l'incidence du projet tant sur le plan des rejets radioactifs
et chimiques que sur le plan de la sûreté et
des modifications d'activité.
Aucun de ces aspects n'est correctement documenté :
les informations restent imprécises, les évolutions
ne sont pas quantifiées. Le projet entraîne pourtant
une augmentation des risques (de criticité notamment),
une augmentation des rejets réels et une modification
considérable de la vocation même des installations :
initialement limitées au retraitement des combustibles,
elles vont désormais traiter, sur un plan industriel des
matière nucléaires et des substances radioactives
en provenance de toute la planète.
Une phrase du dossier résume bien la position de la Cogéma :
" Le projet consiste à adapter l'usage des
installations existantes à l'évolution des besoins
des producteurs d'électricité et de l'industrie
du cycle du combustible nucléaire. Cette adaptation
n'entraînera pas de modification significative des installations
existantes".
Or, le simple fait qu'une procédure d'autorisation soit
engagée signifie, aux termes même du décret
63-1228, modifié que les modifications apportées
affectent de façon substantielle l'importance ou la destination
des installations et en augmentent les risques.
Note préalable : nous n'avons listé
ci-dessous que quelques exemples significatifs des carences,
erreurs, incohérences et dissimulations du dossier. Un
argumentaire plus détaillé, reprenant l'avis des
5 experts, est présenté dans le document CRII-RAD
référencé CC-Avis/EP/LaHague-0/0325.
Le dossier présenté par la Cogéma
est caractérisé par :
. Des affirmations
fausses
- en matière de radioprotection, en particulier en
ce qui concerne 1) les limites réglementaires, 2) les
limites de référence et 3) les risques pour les
travailleurs et le public.
1. La limite de dose efficace de 1mSv/an qui est
présentée par la Cogéma comme une limite
fixée pour la dose induite " par une installation
nucléaire en fonctionnement normal ". C'est
faux. Cette limite n'est pas fixée pour l'impact d'une
seule installation mais pour l'ensemble des expositions aux rayonnements
ionisants générées par l'ensemble des pratiques,
hors rayonnement médical et irradiation naturelle (cf.
CIPR 60 et directive EURATOM n°96/29)
2. Le seuil de référence retenu par la directive
EURATOM n°96/29 (directive qui doit être transposée
en droit français au plus tard le 13 mai 2000) comme seuil
au-delà duquel le risque induit par une seule pratique
ne peut plus être considéré comme négligeable
est de 10 µSv/an et non de 30 µSv/an,
comme l'affirme la Cogéma.
3. Contrairement à ce qu'écrit la Cogéma
dans l'étude d'impact, la CIPR ne considère pas
que " les dangers entraînés par l'exposition
aux rayonnements doivent être inférieurs à
ceux acceptés dans les activités professionnelles
présentant un niveau de sécurité élevé
". Dans sa publication n°60, la CIPR explique exactement
le contraire : elle a abandonné, pour l'industrie
nucléaire, la référence aux industries les
plus sûres. La limite de 20 mSv/an (et a fortiori celle
de 50 mSv/an encore en vigueur en France) correspond à
des niveaux de risques cancérigènes et génétiques
pour les travailleurs qui classent l'industrie nucléaire
parmi les industries les moins sûres.
Nous retrouvons ainsi, en matière de radioprotection,
des anomalies légèrement différentes de
celles que nous vous avons signalées dans de précédents
dossiers (EDF Saint-Alban, par exemple) mais qui ont la même
caractéristique : déformer les concepts
et recommandation de la CIPR, dans un sens systématiquement
défavorable à la radioprotection. C'est, en
France, un problème grave et persistant. Dans ce contexte,
chaque fois que l'Administration et les pouvoirs publics laissent
parvenir à la consultation publique un dossier mensonger
sur ces questions, ils contribuent à fragiliser les garanties
que sont en droit d'exiger les populations et les travailleurs.
- sur la conformité de l'étude d'impact à
la méthodologie établie par le GRNC (groupe radioécologie
nord-Cotentin). Contrairement à ce que soutient la
Cogéma, son évaluation des doses reçues
par les groupes de référence est très inférieure
à celle du GRNC. Si l'on compare les résultats
de la Cogéma à ceux qui ont été obtenus
par le groupe sur la base de scénarios d'exposition dits
chroniques, on constate :
- une sous-évaluation d'un facteur 5,2 pour le
groupe le plus exposé à l'impact des rejets liquides ;
- une sous-évaluation d'un facteur 9,8 pour le
groupe le plus exposé à l'impact des rejets atmosphériques.
Il faut souligner, en outre, que ces évaluations ne prennent
pas en compte les expositions liées à des expositions
dites " occasionnelles " : se promener
près de la conduite, consommer des produits de la mer
pêchés dans le champ proche de l'émissaire
de rejets, se trouver sur le passage de chargements radioactifs,
etc. Lorsque l'on tient compte des travaux du GRNC tant sur les
scénarios chroniques qu'occasionnels et que l'on intègre
les expositions liées aux transports (négligées
par le GRNC), on parvient - en première approche - à
des niveaux de dose efficace qui :
- constituent pour les rejets nominaux une part importante
de la limite de 1 mSv/an ;
- peuvent avoisiner, voire dépasser, pour les rejets autorisés,
la limite de 1 mSv/an.
Si l'on se réfère aux recommandations de la CIPR,
ces résultats imposent de déterminer si les limites
de rejets et les rejets nominaux correspondent à des expositions
acceptables, tolérables ou inacceptables et présenter
cette information de façon claire dans le dossier d'enquête.
Il est clair que la question de la sous-évaluation des
doses n'est pas une question de détail, mais un aspect
essentiel du dossier.
- Sur l'efficacité du projet de réduction des
doses
Les différences méthodologiques mentionnées
ci-dessus induisent, en outre, des différences d'appréciation
complètes sur le programme de minimisation des rejets liquides :
la Cogéma s'engage ainsi à réduire (dans
un futur non défini) d'un facteur 5 la composante " ruthénium "
des rejets nominaux, affirmant que cette option est retenue car
elle permettra de réduire d'un facteur 3 l'impact des
rejets liquides (pour Cogéma en effet, 60% de la dose
reçue par les pêcheurs provient du ruthénium
106). Or, selon les travaux du GRNC, la composante majeure de
la dose induite par les rejets liquides provient, pour le groupe
de référence le plus exposé (pêcheurs
des Huquets) : du carbone 14 (env. 34%) du ruthénium
106 (env. 17%), de l'iode 129 (env. 15%) et du cobalt 60 (env.
13%). Sur la base de ces chiffres, il est impossible d'obtenir
un facteur 3 de réduction globale en divisant par 5 les
rejets de ruthénium.
. Des dissimulations
délibérées
- L'augmentation des rejets réels du fait du retraitement
de combustibles plus polluants que le UOX1 est délibérément
dissimulée. Pour ce faire, la Cogéma a défini
des rejets nominaux - c'est-à-dire des valeurs enveloppes
maximales à l'intérieur desquelles sont censés
fluctuer les rejets réels. La Cogéma prend soin
de ne donner aucune information utilisable, vérifiable
sur la méthode d'élaboration de ces valeurs. Nous
avons la conviction que cette omission est délibérée.
Le concept de " rejets nominaux " doit en
effet lui permettre de passer sous silence l'impact de son projet
sur ses rejets réels et son incompatibilité avec
la convention OSPAR. Les rejets nominaux sont ainsi calculés
avec suffisamment de marge pour englober la hausse des rejets
réels et la Cogéma peut expliquer que ses demandes
sont sans incidence significative car les rejets nominaux
n'augmenteront pas. Le pétitionnaire a d'ailleurs l'habileté
de s'engager à réduire à moyen terme leur
impact dosimétrique. Grâce à cette opération,
la Cogéma a pu axer, avec succès, sa communication
sur la réduction de l'impact des rejets.
La réalité (pour autant qu'on arrive à la
déduire d'un dossier qui s'efforce de la masquer) est
tout autre. Si l'on se réfère aux rejets de 1996
(année retenue par la Cogéma pour son état
de référence), on peut avancer les données
suivantes pour l'évolution des rejets réels
:
. les rejets radioactifs réels dans l'atmosphère (rejets
de gaz, aérosols et halogènes) pourraient augmenter
d'un facteur 3 pour le tritium et 1,9 pour le krypton 85 ;
l'augmentation est plus difficile à quantifier, vu les
imprécisions du dossier, pour le carbone 14, l'iode 129
et les aérosols.
. les rejets radioactifs réels dans la Manche pourraient
atteindre un facteur 3,8 pour l'iode 129 et 3,5 pour le tritium.
L'augmentation pourrait être très forte pour le
ruthénium 106 (facteur très supérieur à
10). Elle est difficile à quantifier pour le césium
137, le strontium 90 et le carbone 14.
Si l'on se réfère aux chiffres de la Cogéma,
la réalité de l'impact dosimétrique
peut être résumée comme suit :
. l'impact dosimétrique des rejets réels sur
le groupe de référence des pêcheurs de Goury
est de 4,9 µSv/an (valeur 1996)
. la Cogéma assure que l'impact de ses rejets futurs ne
dépassera pas 60 µSv/an (soit une augmentation
possible d'un facteur 12)
. la Cogéma s'engage à réduire l'impact
dosimétrique à moyen terme à 30 µSv/an,
ce qui représente encore une augmentation d'un facteur
6 par rapport à la situation initiale (à noter
que le projet de réduction n'est pas véritablement
défini, ni en terme de moyens, ni en termes de calendrier)
NB : les chiffres ci-dessus ne sont valables qu'en relatif
(cf. ci-dessus : sous-évaluation des doses) mais
ils mettent clairement en lumière la réalité
du projet.
- la contamination de l'environnement. Aucune information
n'est donnée sur le niveau de contamination en tritium
des eaux souterraines (cf. pages 64 et 65 de l'étude
d'impact). Les deux figures produites doivent convaincre le lecteur
que les niveaux de contamination artificielle sont inférieurs
aux niveaux de radioactivité naturelle. Le texte (mais
rien n'est indiqué dans les figures) signale de façon
extrêmement laconique qu'il s'agit des " résultats
(hors tritium)". le dossier ne contient aucun chiffre
sur la contamination des eaux souterraines alors que l'ANDRA
annonce, pour les eaux situées au droit de son site, une
teneur moyenne de 14 200 Bq/l (fin 96). Si les
deux figures susvisées intégraient le tritium,
la radioactivité artificielle apparaîtrait comme
très supérieure à la radioactivité
naturelle (contrairement à ce que dit la Cogéma).
Dans une logique, similaire mais inversée, lorsqu'il s'agit
de présenter les résultats des analyses sur l'eau
de distribution, eau prélevée dans la nappe profonde
non contaminée, la Cogéma choisit de rajouter une
colonne consacrée aux résultats de tritium et montrant
l'absence de teneurs détectables.
. Des
carences graves
- Aucune information quantifiée sur " l'évolution
des besoins des électriciens "
: le dossier devrait préciser, au minimum, pour chaque
type de combustible les quantités envisagées. Le
dossier devrait notamment être explicité en fonction
des prévisions d'EDF. Il faudrait également avoir
un minimum d'indications sur la provenance des combustibles à
retraiter et, plus encore, des " matières
nucléaires et substances radioactives" à
traiter : de quelles installations, de quels pays, quel
impact sur les transports de matières radioactives ...?
- Aucune information utilisable sur la gestion des nouveaux
combustibles, en particulier sur les temps de refroidissement
et la gestion des solutions de dissolution. Le pétitionnaire
annonce qu'il mélangera les solutions de dissolution provenant
des différents combustibles MOX à des solutions
d'uranium ou de combustibles UOX et qu'il injectera directement
les solutions de dissolution des MTR dans le flux du retraitement,
en ajustant seulement le pourcentage. Il s'agit de modifications
très importantes des conditions opératoires qui
exigent autre chose que les quelques lignes de l'étude
d'impact (cf. section 3B).
- Aucune information utilisable, chiffrée concernant
l'impact de l'élargissement de la gamme des combustibles.
Aucun élément chiffré n'est donné
sur l'incidence des campagnes expérimentales de retraitement
de combustibles MOX ou MRT que ce soit sur les rejets, les déchets,
les doses aux travailleurs ou les risques d'accident (de criticité
notamment). De la même façon, rien n'est indiqué
sur l'incidence du retraitement du combustible UOX2 autorisé
par la DSIN : depuis quand, quelles quantités retraitées,
quelle influence en terme de dose, de rejets, etc. Faute de disposer
d'un minimum d'information, on est dépourvu d'outil d'analyse et
de contrôle.
. Des interrogations
majeures
- Pourquoi la Cogéma demande-t-elle l'autorisation
d'augmenter ses capacités d'entreposage du combustible
usé ? Il s'agit d'une augmentation importante,
de l'ordre de 26% à 30% selon les chiffres (cf. ci-après).
Les INB 116 et 117 disposent actuellement d'une capacité
de stockage du combustible usé de 13 990 tonnes,
ce qui correspond, sur la base d'un retraitement annuel de 1700
tonnes à 8 années de refroidissement qui s'ajoutent
à la première année d'entreposage sur site :
le total est donc au minimum de 9 ans. Or, la Cogéma
demande à passer à 17 600 tonnes, soit 10
années d'entreposage en moyenne pour chaque combustible
arrivant à La Hague ce qui donne un total de 11 ans
en moyenne. Or, pour le combustible UOX1, la Cogéma
annonce un temps de refroidissement de 3 ans pour UOX1 et
de 4 ans pour UOX2. Cette incohérence majeure oblige
à considérer deux hypothèses :
. soit, le projet, comme l'indique Mme Lauvergeon dans sa lettre
de demande, ne porte plus sur les combustibles MOX et MTR, et
il faut alors refuser l'augmentation des capacités d'entreposage
car la demande est totalement injustifiée ;
. soit la demande porte sur les MOX et MTR et il faut alors compléter
sérieusement le dossier et préciser les temps de
refroidissement envisagés pour ces combustibles.
Ne s'agit-il pas, sous couvert de nécessités de
gestion, de transformer les INB 116 et 117 en sites d'entreposage
de combustibles usés permettant aux clients, français
ou étrangers, de se " débarrasser "
plus rapidement de leur combustible en les concentrant à
la Hague ? Quelle que soit la réponse à
ces questions, elle n'est pas dans le dossier de la Cogéma.
. D'innombrables
omissions, imprécisions et incohérences
Étant donné leur importance quantitative, nous
ne pouvons les lister, mais elles ont pour caractéristique
de concourir à " normaliser " le projet,
à gommer toutes les questions à problème.
- Concernant les omissions, nous prendrons l'exemple de
l'entreposage hors délai légal des déchets
radioactifs provenant du retraitement des combustibles usés
étrangers (cf . dispositions de la loi du 31
décembre 1991). La Cogéma présente ainsi
la question : " une fois le retraitement effectué,
les matières valorisables sont utilisées pour la
fabrication de combustibles et les résidus ultimes sont
restitués aux clients, qu'ils soient français ou
étrangers". Il s'agit d'un compte-rendu très
partiel de la réalité : aucun colis de déchets
A ou B n'a été renvoyé aux clients étrangers ;
sur 810 tonnes de déchets vitrifiés produits au
31/12/98, 37 tonnes seulement avaient été réexpédiées
vers l'étranger. Avant d'accroître les capacités
d'accueil aux déchets et combustibles étrangers,
ne faudrait-il pas exiger la régularisation de la situation et
la clarification des inventaires ?
- Concernant les erreurs et imprécisions, nous
prendrons l'exemple des capacités d'entreposage du combustible
usé : il y a 2 000 tonnes d'écart entre les
capacités d'entreposage en piscine et les capacités
d'entreposage (sans précision) : 15 600 tonnes
dans le premier cas, 17 600 tonnes dans l'autre. On peut
imaginer que ces 2 000 tonnes sont en attente de déchargement,
mais le dossier ne le précise pas. A moins qu'il ne s'agisse
d'une "simple" erreur. En effet, dans leur avis sur
la recevabilité du dossier, les 5 experts indiquent pour
leur part que les capacités d'entreposage du combustible
usé en piscines seraient portées à 18 000
tonnes. S'il s'agit vraiment d'entreposage de combustibles en
piscine, on doit alors se demander quel est le bon chiffre :
15 600, 17 600 ou 18 000 tonnes ?
Note finale sur le chapitre 3.
Concernant la recevabilité du dossier, nous devons attirer
votre attention sur le fait que la présidente du groupe
des 5 experts nous a affirmé, par téléphone,
qu'elle considérait que l'avis des experts était
un avis défavorable. Ce n'est certes pas ce que nous avions
compris à sa lecture et ce n'est pas, non plus, ce qu'en
a retenu la DSIN puisque l'enquête publique a été
ouverte. Quoiqu'il en soit, il importe que vous en teniez compte
car cela fragilise d'autant la régularité de l'enquête
publique.
4. De hauts responsables, et tout particulièrement
M. Lacoste, directeur de la sûreté des installations
nucléaires, ont affirmé qu'on ne pouvait imposer
à la Cogéma une procédure d'autorisation
avec enquête publique pour la révision de ses autorisations
de rejets. Cette affirmation est fausse. Les pouvoirs publics
avaient tous les moyens juridiques requis.
Cette analyse juridique erronée vous a conduite à
revenir sur votre engagement en faveur d'un examen public et
démocratique des autorisations de rejet de la Cogéma.
L'article 13 du décret 95-540 indique clairement
que des modifications pourront être apportées sur
l'initiative des 3 ministres signataires des arrêtés
ou du bénéficiaire de l'autorisation par voie d'arrêté,
sans passer par une procédure d'enquête publique.
C'est certainement sur cette base qu'il a été conclu,
trop vite, à l'impossibilité juridique d'imposer
une enquête publique à la COGÉMA. Mais ce
même article indique également que lorsque intervient
une modification qui est " de nature à
entraîner des conséquences sur les rejets d'effluents
liquides ou gazeux " les ministres de l'industrie
et de l'Environnement doivent en être informés et
" s'ils estiment que la modification est de nature
à entraîner des dangers ou des inconvénients
pour l'environnement, ils peuvent exiger le dépôt
d'une nouvelle demande". Ce texte constitue une
base juridique forte pour les pouvoirs publics et tout spécialement
pour le ministre de l'Environnement.
Or, il est incontestable que la demande de modification
présentée par la Cogéma pour les INB 116
et 117 de son établissement de La Hague entre tout à
fait dans cette catégorie : le retraitement de combustibles
à taux d'enrichissement en uranium 235 plus élevé
(de 3,5% à 5% et jusqu'à 95% pour les MTR), de
combustibles MOX et de combustibles à taux de combustion
plus élevé (de 33 MMj/kg à 75MWj/kg,
et jusqu'à 150 MWj/kg) et le traitement de matières
nucléaires et de déchets radioactifs en provenance
de toute la France et de l'étranger vont nécessairement
influer sur les rejets, sur leur impact environnemental et dosimétrique
ainsi que sur la dangerosité des différentes opérations
conduites dans l'installation.
Tous ces aspects sont donc de nature à entraîner
des dangers ou des inconvénients. Les ministres avaient
donc toute latitude pour imposer à Cogéma de présenter
une demande soumise à enquête publique.
L'établissement de La Hague est, pour ce qui est des rejets
radioactifs, l'installation la plus polluante de France et certainement
l'une des plus polluantes au monde. Il serait regrettable qu'un
projet qui va conduire à augmenter les rejets dans l'environnement
échappe à un vrai débat démocratique.
Les espaces de consultation en matière de nucléaire
sont déjà tellement rares.
Conclusion : étant donné
l'importance des anomalies relevées, ne pas annuler l'enquête
publique reviendrait à confisquer l'un des rares moments
de démocratie que comporte notre système réglementaire
en matière d'installations nucléaires. En l'état,
le dossier n'est pas recevable. Nous ne sollicitons pas de votre
ministère une décision de refus par rapport au
projet présenté par la Cogéma. Il s'agit
seulement de faire respecter le droit élémentaire
des citoyens consultés ou intéressés par
le projet à disposer d'une information suffisante, d'un
dossier " régulier et complet ", qui
lui permette de se forger une opinion et d'émettre un
avis en toute connaissance de cause.
. Défendre
l'État de droit et le droit à l'information
Nous avons traité, depuis deux ans, plusieurs dossiers
d'enquête publique concernant des INB. Nous sommes parvenus
à la conclusion que l'obligation réglementaire
de produire à l'enquête un " dossier
régulier et complet " n'était presque
jamais respectée. Nous vous renvoyons au dossier Saint-Alban
dont nous vous avons saisi en 1999 mais nous disposons de bien
d'autres exemples. Lorsque nous avons saisi l'OPRI des erreurs,
lacunes et surtout de l'opacité du dossier présenté
par FBFC pour son établissement de Romans, l'un des responsables
nous a répondu qu'il avait identifié les mêmes
problèmes (l'OPRl n'étant plus chargé de
l'instruction du dossier, il ne pouvait le bloquer) mais qu'il
" ne fallait pas nous inquiéter car
le dossier serait réexaminé ultérieurement
lors de discussions entre la DSIN, l'OPRI et l'exploitant ".
Ce discours est révélateur du peu d'importance
qui est accordé à la consultation publique. Le
dossier de demande est bien sûr élaboré sous
la responsabilité du pétitionnaire mais sous contrôle
des autorités. Si l'Etat n'assume pas ce rôle
de vérification, la procédure d'enquête publique
- déjà très limitée faute de temps,
de moyens, de facilités d'accès à l'information
- n'est plus qu'un cadre vide, une hypocrisie qu'il faut dénoncer
et boycotter.
Etant donné l'importance de l'établissement
de La Hague en termes de rejets radioactifs, il est de la plus
haute importance d'exiger la correction du dossier.
. Ne pas confisquer
aux citoyens leur droit à être consultés
Madame Lauvergeon, PDG de la Cogéma, a signé une
demande d'autorisation qui est placé en introduction du
dossier soumis à l'enquête publique. Les demandes
qui figurent dans ce document sont sensiblement en retrait sur
le contenu du dossier tant sur le plan de la quantité
de combustible qui sera retraité (1 700 tonnes maximum
au lieu de 2 000 tonnes) que sur le plan de l'élargissement
de la gamme : le retraitement des combustibles MOX ou MTR
fera l'objet de dossiers ultérieurs discutés entre
l'exploitant, la DSIN et les ministères et sera soumis
à autorisation.
Cette situation appelle trois remarques :
1. On peut s'interroger sur la régularité du procédé :
le projet est détaillé dans un dossier de plusieurs
centaines de pages mais qui ne correspond pas (ni sur le plan
quantitatif, ni sur le plan qualitatif) à la demande que
signe la PDG du groupe Cogéma. Seuls quelques passages
semblent avoir été modifiés. Nous devons
cependant reconnaître que le dossier est, sur le fond,
suffisamment indigent pour supporter les changements d'orientation.
2. On peut également discuter la valeur de l'engagement
de Madame Lauvergeon. Nous vous joignons en annexe un courrier,
sur papier à en-tête Cogéma, référencé
PDG et signé de la main de Madame Lauvergeon, un document
très semblable, sauf pour le contenu, à la lettre
adressée à votre ministère pour la modification
des INB 116, 117 et 118 de La Hague. Vous constaterez que le
PDG de la Cogéma se permet, dans ce courrier, de falsifier
nos écritures. Le recours à de tels procédés
incite à la vigilance.
3. Le plus important : le fait de reporter à
plus tard la délivrance des autorisations de retraitement
des combustibles non UOX ne constitue en rien une garantie. Les
autorisations seront en effet délivrées sans passer
par une procédure d'enquête publique, en dehors
de tout débat et de tout examen citoyen (ce fut le
cas pour l'augmentation du taux d'enrichissement et de combustion
des combustibles UOX). La décision de retirer de la demande
le retraitement du MOX et des MTR revient en fait à retirer
de l'enquête publique où un vrai débat aurait
pu s'engager (si le dossier avait été conforme)
l'un des aspects les plus épineux du dossier. Le moins
que l'on puisse dire, c'est que la démocratie n'y gagne
pas et la procédure retenue laisse peu de doute sur la
nature des décisions qui seront prises.
Compte tenu de votre engagement personnel en faveur de
la convention OSPAR , nous sommes persuadés qu'une
fois informée de la réalité des incidences
du projet de la Cogéma, vous aurez à coeur de prendre
les décisions nécessaires au respect des traités
signés par notre pays et plus, largement, au respect du
droit des citoyens français.
Restant dans l'attente de votre décision et à votre
disposition pour tout complément d'information sur ce
dossier, nous vous prions d'agréer, Madame la Ministre,
l'expression de notre profonde considération.
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Pour le président de la CRII-RAD,
la directrice,
Corinne Castanier |
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